catastrophe naturelle

ou comment se retrouver dans une situation de merde et la renverser en sa faveur, Chine part 9 (Sichuan) Wenchuan → Chengdu 15/08→ 26/08/2010

Je traversais Wenchuan en mi journee et desormais il n’y avait guere plus que 200km qui ne me separaient de Chengdu. J’en avais termine avec l’interminable secteur en construction et desormais la route etait parfaitement bitumee. La partie finale vers Chengdu n’etait plus qu’une simple formalite: 150 bornes de descente dans la vallee puis 50 autres a rouler sur le plat de la grande plaine orientale du Sichuan. Il n’y avait que le vent qui soufflait violemment de face, en particulier lorsque je traversais les innombrables ponts qui enjambaient la grande riviere, ou de longs tunnels peu ou pas eclaires pour me contrarier. Autrement tout etait parfait d'autant plus que la route n'etait que tres peu frequentee par les autres vehicules ce dimanche apres midi, ce qui etait vraiment inhabituel pour un axe de cet importance aussi pres d'une tres grande ville comme Chengdu. La veille, alors que je me debattais encore pour progresser dans la boue, j'etais arrive a hauteur d'un barrage de police improvise qui filtrait (ou plutot bloquait car il y avait pres de 3km de vehicules a l'arret) la circulation. Je l'avais franchi sans trop m'attarder car personne ne parlait anglais d'une part et que les flics ne voyaient pas d'objections a ce que je passe quand je leur avais fait signe de mon intention de continuer. En fait ca ne m'avait pas interpelle du tout, la route etait en chantier sur une tres longue distance et la vallee se transformait progressivement en gorge, donc rien d'anormal a ce que la circulation soit ponctuellement bloquee a mon sens. Et puis bon, en Chine il ne faut pas toujours chercher une explication rationnelle aux activites de la police vis a vis des citoyens, et j'en avais eu souvent la preuve par le passe donc je me formalisait pas du tout sur le pourquoi du comment de ce bloquage … Il y avait bien quelques autres signes un peu etranges comme ces nombreux camions charges de legumes qui etaient distribues gracieusement aux villageois apres Wenchuan: ca ne ressemblait pas vraiment a une aide alimentaire et les villageois n'avaient pourtant pas l'air dans le besoin non plus.
Bref, quelques heures apres Wenchuan je recroisais un barrage de flics juste en amont du gros village de Yingxing et j'apprenais enfin de quoi il en retournait grace a un officier partielement anglophone. Il y avait eu un gros glissement de terrain la veille, 6km apres Yinxing et la route etait completement bloquee. Des pelleteuses mecaniques etaient en train de deblayer mais soit disant que ca risquait de prendre une semaine parce que c'etait un beau bordel ! «Faites demi-tour», qu'on me disait ! Ils etaient marrant les flics, il n'y avait qu'une seule route dans cette interminable vallee et pour trouver un itineraire bis, il me fallait me retaper les 300 bornes de piste boueuses et defoncees a l'envers, et en montee en plus ! Il etait deja tard et je parvenais a les convaincre de me laisser entrer au moins a Yinxing. A Yinxing justement, il y avait des milliers de personnes qui erraient dans les rues ou qui attendaient assises sur la place principale du village. J'apprenais que la plupart avaient deja passe la nuit a dormir par terre dans les rues et attendaient le feu vert des flics pour continuer, a pieds s'il le fallait. Un jeune anglophone m'expliquait egalement que la ville de Yinxiu, a un peu plus de 10km en aval, avait ete l'epicentre d'un terrible tremblement de terre en 2008 qui avait fait des dizaines de milliers de victimes, et que les pentes de la vallee demeuraient tres instables, en particulier en periode de fortes pluies. Ca s'annoncait mal. En desepoir de cause, je grimpais une bonne centaine de metres de deniveles pour dormir avec ma tente a cote de la petite forteresse qui surplombait le village. Le lendemain, je comptais bien tenter ma chance. Eboulis ou pas eboulis, il fallait que je passe, quitte a pousser le velo dans le merdier. Pour la premiere fois depuis tres longtemps, il ne pleuvait pas cette nuit la, tant mieux !

De bonne heure je quittais Yinxing, pour tromper la vigilance des flics et me rendre sur les lieux du desastre. A mesure que j'approchais de l'éboulis, je doublais continuelement des petits groupes de pietons. Apparement je n'etais pas le seul a vouloir tenter ma chance aujourd'hui. Arrive sur place, je contemplais l'eboulis et je me disais que l'affaire paraissait tout a fait jouable: bien que large d'une bonne centaine de metre, il semblait praticable a pieds car les pelleteuses mecaniques avaient plus ou moins commence a tailler un sillon a travers. D'ailleurs ces memes pelleteuses s'arrêtaient de temps en temps pour laisser passer des petits groupes de chinois a pieds. Je m'approchais donc et finissais par m'engager dedans egalement avec l'aide des flics presents: je marchais avec mon sac a dos sur les epaules tandis que les flics foutaient mon velo dans le godet d'un tractopelle pour franchir l'éboulis. Je crois bien que c'etait la seule et unique fois que je prenais des flics en photo mais il fallait que j'immortalise l'evenement ! Je rechargeais mon velo et repartais soulage d'avoir pu franchir cet obstacle aussi facilement … avant de rencontrer un autre eboulis 1km plus loin. Les flics m'avaient pourtant parle d'un seul eboulis ! Ou alors c'est qu'ils ne savaient rien de la sitation par dela le 1er glissement de terrain. Franchir ce second eboulis fut nettement plus difficile. Les pelleteuses commencaient a peine de degager et il y avait un petit torrent qui coulait a travers de surccroit. Heureusement, des jeunes chinois qui essayaient de quitter la vallee a pieds m'aiderent grandement en deplacant mon lourd velo dans tout ce merdier tandis que j'etais entrave de mes sacs. La suite se precisait fatalement: a une centaine de metres apres le 2eme eboulis, il y avait un petit village minuscule coupe en 2 par l'elargissement d'une ravine: plusieurs barraques proche du torrent s'etaient efffondrees dans la ravine et il n'y avait plus qu'un enorme cratere ou s'ecoulait des eaux furieuses en lieu et place de la route.

Merde, pour le coup j'etais bel et bien coince la avec mon velo ! Un type qui supervisait les travaux de deblayement finissait d'aneantir mes espoirs en m'annoncant en anglais qu'il y avait encore 3 autres eboulis massifs apres le village et qu'en plus la route etait innondee sur pres de 2 km a cause de l'accumulation de roches dans le lit de la riviere dans un passage etroit. Je laissais a contre coeur mon velo chez un villageois non sinistré et m'engageais sac sur le dos en compagnie d'autres chinois dans les hauteurs de la vallee pour une bonne grimpe hors piste. Je me promettais de revenir chercher mon velo quand la DDE locale aurait fini de retaper une piste de substitut. Pendant pres de 3h j'escaladais les pentes de la vallee avec mon petit groupe de galeriens, avant d'arriver a Yinxiu. Ils etaient totalement scies de voir un occidental dans le meme merdier qu'eux et pour le coup tenaient a tout prix a m'aider a progresser a chaque passage delicat. S'ils savaient, j'avais fait bien pire a pieds aupravant ! Cela dit rejoindre Yinxiu ne fut pas une mince affaire. Il a fallu escalader en total hors piste dans les friches epineuses en s'accrochant aux branches pour se hisser, puis se deplacer en amont sur les eboulis encore casse-gueules a travers les filets métalliques pare-rochers totalement detruits. Ensuite il fallait s'engager dans des portions boisees sur des sentiers improvises par des types passes plus tot dans la matinee et se battre avec la vegetation pas encore tropicale mais foutrement dense, sans parler des ravines glissantes et instables a traverser avec l'eau jusqu'à mi cuisse (pour moi, pour les chinois c'etait jusqu'à la taille!). Les derniers arpents avant Yinxiu, il nous a fallu tout desescalader avant de finir par descendre une petite falaise de 10 m sur une echelle branlante … sous l'objectif des cameras de la television chinoise qui couvrait l'evenement ! Je vous garantis que l'arrivee d'un «réfugié» occidental avec son gros sac a dos et sa chemise dechiree a fait sensation !


Pour la suite, je me suis contente de suivre le mouvement. En premier lieu, j'etais assis avec tout les chinois qui avaient traverse les eboulis a pied dans un campement improvise tandis que l'on nous distribuait de l'eau et de la bouffe. Je pouvais apprecier tout le dispositif d'urgence mis en place par les autorites: des militaires partout, des tentes-hopital montees a proximite, des corteges de pelleteuses et de bulldozers qui avancaient vers la zone sinistree, des journalistes a foison avec leurs cartes de presse … et plein de types qui brandissaient des drapeaux rouges, allez savoir pourquoi ! Peu apres j'embarquais dans une benne a l'arriere d'un camion assis sur des palettes avec une bonne trentaine d'autres «refugies» direction Chengdu, a moins de 100km de la. L'experience etait interessante a vivre: nous etions transportes gracieusement vers la grande ville et des que le camion s'arretait dans une localite en chemin, des commercants arrivaient avec des cartons et nous offraient de la bouffe gratuitement. Y'en avais meme un qui distribuait du fric, quelque chose comme 10 a 20 Yuan par personne (1 a 3 euros) ! J'acceptais naturelement la bouffe mais declinait pour le pognon, les autres en avait certainement bien plus besoin que moi. Le camion nous deposait pres de la grande gare routiere au nord ouest de Chengdu et des flics partiellement anglophones me proposaient de suite leur aide. Ils me deposerent, gracieusement encore, avec leur bagnole a l'auberge de jeunesse du centre ville. Manifestement le statut de victime de catastrophe naturelle en Chine suscitait la generosite partout, ca devait fonctionner encore mieux parce que j'etais un etranger occidental !

Je ne savais pas vraiment quoi faire, la seule chose qui semblait certaine etait que j'allais devoir patienter quelque peu avant de pouvoir recuperer mon velo. Le soir meme j'errais dans le vieux centre ville … torse nu avec ma chemise a la main car il faisait une chaleur humide a crever. Chengdu etait a 500m d'altitude en et pleine saison des pluies le climat local n'avait plus rien a voir avec ce que j'avais connu au moins depuis l'apres kashgar 2 mois plus tot successivement dans le desert, les hauts plateaux arides puis les hauts paturages de montagne. Je n'etais pas redescendu aussi bas depuis l'Ouzbekistan plus de 4 mois plus tot egalement, d'ailleurs pas meme sous 2500m d'altitude depuis le Taklamakan 1 mois auparavant. Bref, le contraste etait violent et je ruisselais de sueur presque en continu, meme assis a ne rien faire ! L'attente risquait d'etre plutot inconfortable … et meme d'avantage car la nuit meme j'avais de violentes crampes abdominales et pour ainsi dire j'allais aux chiottes une bonne douzaine de fois. Il m'etait deja arrive de chopper la chiasse quelquefois et generalement apres 24h sans bouffer j'en etais debarrasse pour de bon. Mais a Chengdu la recette n'avait pas l'air de fonctionner car meme apres 3 jours de jeune je me vidais encore regulierement et de bile du foie qui plus est. Je commencais serieusement a m'affaiblir et la douleur persistait toujours, il etait temps pour moi de consulter un medecin. Je me rendais ainsi a un grand hopital public tout proche et réussissais a rencontrer un docteur anglophone. Lorsque je lui racontais les evenements qui avaient predede mon arrivee a Chengdu, il m'apprenait que beaucoup de «refugies» de la vallee sinistree souffraient des memes maux que moi. En fait, lorsque j'escaladais dans les rochers qui surplombaient la vallee innondee, j'avais bu abondamment l'eau de sources de la montagne comme presque tout le monde d'ailleurs (les chinois avec leurs bouteilles de 50cl fetiches crevaient de soif) tellement l'effort et la chaleur deshydratait le corps. Comme un ane j'avais oublie de la filtrer (il faut dire que je n'utilisais presque plus mon filtre) et j'avais oublie qu'il etait tres dangereux de boire l'eau dans un secteur qui venait de subir une catastrophe naturelle surtout quand il pleut enormement (par exemple je me souviens des nombreux cas de leptospirose a l'ile de la Reunion apres les cyclones). Pour le coup j'avais écopé d'un staphylocoque plutot coriace et on me gardait en observation avec perfu de liquide physiologique dans le bras pour me rehydrater et prescription d'antibiotiques. J'avais meme droit a une visite des services épidémiologiques de la ville qui voulaient des informations sur l'origine de la contamination: je leur refilais une de mes bouteilles qui contenait encore de l'eau des environs de Yinxiu pour les aider. Fort heureusement, apres 2 jours mon etat s'arrangeait considerablement et je pouvais enfin me goinfrer de cuisine chinoise pour me requinquer. Il ne me restait plus qu'a chercher mon velo.

L'ennui c'etait qu'il m'etait impossible d'avoir de vrais informations sur les travaux de déblaiement de la vallee, meme suffisament pour passer a pied, d'une part parce que l'information ne passait pas meme aupres des medias chinois et surtout parce que les longues averses orageuses qui s'abattaient presque tout les jours provoquaient de nouveaux eboullements dans la zone sinistree. Mon salut viendra d'un Couchsurfer chinois de Chengdu. Hans etait un cycliste de haut niveau et dirigeait une association locale, ce qui lui vallait de connaître pas mal de journalistes de Chengdu. Apres qu'il eut contacte ses amis journalistes mobilises sur les lieux des glissements de terrain, il m'informait qu'une piste etait provisoirement ouverte sur place. Le lendemain je retournais a Yinxiu en prenant 2 bus. Dans le dernier je devais me planquer a chaque fois que le minibus passait un check point de police, des fois qu'ils me prennent pour un journaliste etranger … et le plus drole etait que les autres passagers du bus m'aidaient a me cacher ! Apres une petite marche de deux heure je regagnais le village ou je m'etais arrete de pedaler une semaine plus tot et je retrouvais mon velo a l'endroit ou je l'avais laisse. Je pouvais repartir vers Chengdu, en suivant le flot de chinois qui regagnaient Yinxiu a pieds puis en m'engageant sur l'autoroute qui commencait a un large tunnel juste apres (ils laissaint meme entrer les pietons dedans). Tandis que je pedalais a bloc sur l'autoroute vide, une voiture me doublait et s'arretait peu apres. Il s'agissait de journalistes de presse ecrite que Hans avait contacte la veille et ils voulaient bien entendu m'interviewer. Le lendemain j'avais droit a un long article dans un journal de Chengdu dans les pages consacrees a la catastrophe naturelle. D'apres ce que Hans m'a traduit, ils en avaient un peu rajoute en disant que j'avais refuse que des gens de Chengdu me donnent de l'argent pour me racheter un nouveau velo et prefere «braver le danger» dans la vallee sinistree pour aller chercher le mien ! L'air de rien, cet article allait grandement m'aider pour la suite de mon sejour en Chine. Je connaissais deja l'impact favorable que pouvait avoir un article de journal aupres de la population locale pour en avoir use et abuse avec mes anciens partenaires de toutenmarchant en Turquie et en Georgie, mais une feuille qui me categorisait comme victime de catastrophe naturelle en Chine etait vraiment puissante, comme j'ai pu m'en rendre compte par la suite.

En effet le gouvernement chinois sensibilise enormement (pour ne pas dire propagande) pour susciter la generosite et l'aide des citoyens a l'egard des victimes de desastre naturels et etre reconnu comme tel, qui plus est dans un journal, me conferait un statut appreciable. J'ai vite saisi la portee du document quand je le montrais (les restorants ne voulaient pas que je paye par exemple) et decidais de l'utiliser avec grande parcimonie pour ne pas profiter de la situation. Par contre je l'utilisais systematiquement quand j'avais affaire a des flics !

En recuperant mon velo, j'avais aussi l'occasion de decouvrir ma plus grande ville chinoise, par sa superficie et sa population. Meme si Chengdu n'est pas du niveau de Beijing ou Shanghai, elle reste neanmoins un grande metropole. Arme d'un grand plan de la ville et muni de mon velo, je ne me lassais pas du spectacle de cette fourmilière humaine qui n'avait rien a envier aux grandes cites européennes question urbanisme et infrastructures. Les citadins egalement semblaient jouir d'un niveau de vie comparable aux occidentaux, la fracture avec la Chine rurale etait frappante, c'etait a se demander si j'etais toujours dans le meme pays ! Chengdu etait un haut lieu touristique et les principaux sites etaient satures de monde en ce mois d'aout. La presque integralite des touristes presents a Chengdu etaient des chinois de la cote est et je croisais continuellement des foules de gens en short avec des appareils photo enormes autour du cou. J'avais tres vite abandonne l'idee de visiter les principaux sites touristiques pour eviter de me retrouver entrave dans une foule digne du metro parisien aux heures de pointe, et comme il fallait payer pour entrer dans la plupart des sites interessants … De toute facon il y avait longtemps que j'avais cesse de culpabiliser si je ne visitais pas les «trucs a voir» sur mon trajet. A la place j'avais experimente une catastrophe naturelle et visite un hopital, si c'est pas interessant ca !

Je restais encore quelques jours pour reparer mon velo meutri quelque peu par les 300km de pistes d'avant Wenchuan et pour tenter de convertir mon visa touriste chinois en visa business de 6 mois. Malheureusement la politique migratoire chinoise etait completement verrouillee pendant l'exposition internationale de Shangai et il etait impossible de tenter l'operation. Ma premiere extension de visa allait arriver a son terme et il me fallait etendre une derniere fois aupres des PSB. Pour cela je devais fuir Chengdu, la capitale administrative du Sichuan, et rejoindre une sous prefecture ou la procedure etait lus simple. Je partais donc le 27 aout, apres un sejour memorable de 10 jours a Chengdu, pour me rendre a Leshan a plus de 150km au sud.
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