A la recherche des Saphirs

Australie part 5: Queensland, Sapphire 16.10 - 29.10.2011
Pendant presque 2 semaines je suis reste dans la localite de Sapphire, pour essayer de trouver ... des saphirs. Ca valait bien un petit recit !

Apres pas loin de 3 mois de marche presque ininterrompue, je m'etais resolu a m'arreter quelques temps dans la localite de Sapphire histoire d'aller prospecter des pierres precieuses. A environ 50 km au nord ouest de la ville d'Emerald dans le Queensland se trouvait le fameux Gemfield, secteur repute pour ses sapphires (enfin des saphirs si vous preferez mais j'utilise l'orthographe anglaise ici), rubys, emeraudes et opales. La plupart des cailloux sont generalement trouvables a faible profondeur, dans les couches de sediments d'anciens cours d'eau. D'apres les renseignements que j'avais glane en cours de route il y avait de tres grands secteurs de plusieurs km² ou n'importe qui pouvait librement entreprendre d'extraire par ses propres moyens les fameuses pierres et d'en disposer par la suite bien entendu. Meme sans la moindre experience dans le domaine j'avais bien l'intention d'aller gratter un peu de terrain, apres tout avec un peu de cul je pouvais bien trouver quelque chose de valable !
Avant de me pointer a Sapphire j'avais un petit imperatif a regler: aller a Emerald acheter un maximum de bouffe a l'hyper avant de revenir sur mes pas. En prenant pour 2 semaines de graille ca me laissait une bonne marge de manoeuvre par la suite en evitant de me ruiner dans les petites echoppes du bled. Je continuais ainsi, peu apres le carrefour qui menait a Sapphire, a avancer vers Emerald quand une bagnole s'arretait a ma hauteur. La chose etait courrante et je m'appretais a entamer la discussion habituelle en anglais mais ce coup-ci le conducteur etait francais. En l’occurrence je faisais la connaissance par le plus grand des hasards de Guy, la soixantaine bien tassee, un champenois venu emmigrer en Australie dans les annees 70 et demeurant a Sapphire ... et vous l'aurez devine, ancien prospecteur de sapphires ! Il se rendait justement a Emerald pour faire des courses et me proposait de suite de me conduire la bas avant de me deposer a Sapphire. Pour le coup ca m'arrangeait bien, ca m'evitait ainsi de parcourir 3 fois le meme trajet a pied. Apres 20 bonnes minutes a demonter ma charrette et a deplacer tout le chargement nous etions en route pour Emerald. J'expliquais a Guy mon intention d'aller prospecter le Gemfield en complet amateur et il me proposait du tac au tac d'aller squatter son garage histoire de se poser un temps avant d'attaquer le boulot. Il y a des jours comme ca ou tout vous sourit !



Avant d'attaquer la prospection, j'ai eu tout le loisir de de discuter le bout de gras avec Guy ainsi qu'avec Albert, son voisin franco-marocain, et de m'impregner de toute la legende du sapphire. Pour commencer, a connaitre le cailloux en question. Le sapphire est le joyau le plus costaud juste derriere le diamant et on en trouve de presque toutes les couleurs. La couleur determine la valeur de la pierre: si le vert, le plus rependu, ne cote pas tres cher, le jaune par contre peut atteindre des sommets (en gros un cailloux gros comme une crotte de nez peut valoir plusieurs milliers de $). J'avais droit aux recits sur leurs experiences personnelles mais egalement aux histoires de trouvailles legendaires comme celle du gosse qui avait trouve 20 ans auparavant un sapphire jaune gros comme le poing en le ramassant sur le bas cote d'une piste et qui avait rendu sa famille millionaire ou celle du type qui avait recupere 3 a 4 kg de saphires bleus en tombant sur un fillon des ses premiers jours de prospection ... a l'endroit meme ou un autre gars avait passe pres de 3 mois sans jamais rien trouver ! L'un comme l'autre parlaient anglais avec un fort accent de l'hexagone mais nous conversions evidement en francais. Enfin en franglais surtout dans leur cas, avec plein de mots anglais ou plus drole encore, des verbes anglais conjugues en francais ! Ca donnait des trucs du genre: " Je diguais (to dig = creuser) peinard mon claim  (terrain de prospection) quand je vois un brown snake (serpent brun, tres venimeux et rependu en Australie) qui se pointe sur ma gauche. Je lui ai balance ma shovel (pelle) sur la gueule, mais il continuait a avancer vers moi ce con !". En tout cas,  j'avais bien saisi que trouver des sapphires valables n'etait pas chose aisee. Il fallait avoir un peu de bon sens en prospectant les bons coins (anciens lits sedimentaires), une grosse dose de bol pour trouver un eventuel fillon et surtout ne pas avoir peur du boulot en creusant le maximum de surface pour augmenter ses chances de trouvailles. Il y avait plusieurs zones de prospections libres au public dans les alentours de Sapphire. Chacunes avaient un nom specifique comme "Graves Hill" (la colline des tombes) ou "Reward" (recompense) et la plupart avaient encore de vastes zones peu ou pas encore prospectees. Seulement voila, quand on prospecte on a besoin continuellement de grosses quantites d'eau pour laver les graviers et reperer ainsi les joyaux. Et naturellement on ne trouvait pas d'eau dans le coin: malgre les orages des dernieres semaines il n'y avait aucune accumulation d'eau nulle part, toute la flotte ravinait dans les creeks et s'etait evacuee vers les plaines plus a l'est. Tous les types qui venaient prospecter dans les environs avaient toujours un enorme container de 1000L a l'arriere de leur pick-up ou dans une remorque et allaient refaire le plein regulierement en ville. Dans mon cas, avec une simple charette de pieton pouvant transporter jusqu'a 80 kg grand maximum (et encore, sur de la bonne piste sinon je niquais l'axe des roues) j'avais un serieux handicap d'entree de jeu ...



Malgre tout, je decidais tout de meme de commencer a prospecter. En fait il y avait un terrain proche de la barraque d'Albert repute riche en fillons de sapphires bleus. Du moins pour avoir contenu des sapphires tant le terrain en question avait deja ete massivement prospecte: a vrai dire le coin ressemblait a une zone bombardee a coup de mortier avec d'enormes crateres et tranchees creusees de partout. Il restait neanmoins le mince espoir de trouver quelque chose en mettant un coup de pioche sur un secteur encore vierge et je m'epargnais une trop penible corvee d'eau en allant me reapprovisionner chez Albert d'autre part. Cote materiel, je parvenais a rassembler tout le necessaire en empruntant a titre gracieux tout les outils, futs et tamis aupres de Guy, Albert et d'une autre voisine. J'etais fin pret pour mes grands debuts de prospecteur de sapphires. Le mode operatoire n'etait pas vraiment complique mais plutot repetitif. Il fallait tout d'abord creuser a la pioche une bonne surface jusqu'a peu pres cinquante cm de profondeur avant d'atteindre le gravier, et virer toute cette couche a la pelle en tas sur le cote. Ensuite il fallait piocher dans les graviers et projeter les pelletees sur une sorte de grand tamis presque vertical a double maillage (un wallaby): les grosses pierres etaient collectees sur une sorte de gouttiere et tombaient sur le cote tandis que les poussieres s'accumulaient en dessous, seuls les petits cailloux finissaient dans un seau au pied du tamis. Puis je devais vider ce seau dans une grosse passoire a main (seave) et la plonger partiellement dans le gros fut de flotte (drum) et commencer a la secouer et la tourner d'une maniere specifique pour d'une part laver les cailloux et les rassembler en fonction de leur densite. Enfin il me fallait retourner la seave au sol d'un coup sec et commencer a regarder attentivement en egrainant doucement a la main: en general, si les cailloux avaient ete secoues correctement dans le drum les eventuels sapphires humides devaient se trouver sur le haut du tas, au milieu et reluisaient a la lumiere du soleil.
Evidemment, on ne trouve pas a tout les coups un sapphire, et quand c'est le cas il arrive souvent qu'il soit "craqué" (ou fêlé de partout) et donc sans valeur. Quelque fois la chance vous sourrit et une belle petite pierre scintille au milieu de la passoire. En ce qui me concerne, le bilan au bout de quelques jours etait tout de meme maigre avec 3 petits sapphires verts a mon palmares. Au bout d'un moment on commence a s'interroger si ca vaut bien la peine de se casser le cul pour si peu: Il faut creuser le maximum de terrain le matin avant que le soleil ne cogne trop et se niquer les bras et les epaules avec la pioche sur ce foutu sol aride en beton arme du bush australien (je suis marcheur/cycliste pas halterophile !) avant de se flinguer le dos a tourner a bout de bras la passoire chargee de  10 a 15 kg de cailloux dans un baquet de flotte toujours trop pres du sol ! Sans compter que le fut se chargait regulierement de boues et il fallait se farcir a chaque fois la vidange et un nouveau voyage avec des seaux d'eau de renouvellement. Bref, au bout d'une semaine la ferveur initiale s'etait considerablement etiolee et je commencais a en avoir plein le cul de la prospection. Je n'avais pourtant pas menage mes efforts plusieurs jours durant mais le succes n'avait pas ete au rendez-vous. Tant pis pour mes ambitions de remuneration "marginale", ce ne serait pas en Australie que j'allais renflouer mon compte en banque car l'alternative du ramassage de legumes dans les plantations de la cote est ne me tentait pas le moindre du monde.



Au final, j'aurais passe 2 semaines de "vacances" a Sapphire, quelque peu sportives certes, mais un break salutaire apres plusieurs mois de marche non-stop tout de meme. Je n'aurais pas fait fortune en creusant ce bout de terrain mais ca valait tout de meme le coup d'avoir essaye. Autre break, linguistique celui-ci: j'aurais au moins pu converser presque exclusivement en francais pendant pres de 2 semaines avec Guy et Albert et la aussi la parenthese aura ete rafraichissante. Plus besoin de tendre l'oreille pour piger le baragoin local et de s'exprimer comme un attarde faute de vocabulaire consequent ! En tout cas je serais eternelement reconnaissant envers Guy qui m'aura offert l'hospitalite tout ce temps et regale de bonne cuisine francaise ! Enfin je mettais un point d'honneur a regarder la finale de la coupe du monde de rugby avant de repartir: l'equipe de France echouait a nouveau face aux All Blacks mais d'un miserable petit point. Une bien triste soiree pour moi ... comme pour les australiens, meilleurs ennemis rugbystiques de la Nouvelle Zelande !
Je reprenais la route le 29 octobre, direction Emerald puis ensuite pratiquement plein sud sous le tropique du Capricorne.

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