La diagonale du vide

La traversee d'ouest en est de la partie centrale du pays. Australie North Territory part 3 Tennant Creek - Mount Isa 23.08 - 15.09.2011


A Tennant Creek, j'abordais une etape importante de ma traversee de l'Australie. C'etait dans ce bled paume en plein milieu du bush que je devais decider par ou continuer ma traversee de l'Australie: soit plein sud en direction de la province de South Australia ou vers l'est et le Queensland. Avec toujours en tete la necessite de garder un minimum de contact avec le monde civilise a travers l'immense etendue aride et desertee de l'Australie centrale. Pour m'approvisionner en eau et nourriture d'une part et aussi pour ne pas bousiller ma charrette. Bref, en restant sur les routes une fois encore. En etudiant les cartes les 2 options apparaissaient assez similaires: plus de 2000 bornes d'etendues presques plates et inhabitees avant d'arriver a proximite du littoral. Il me semblait pourtant plus judicieux de partir vers l'est pour au moins 3 raisons. A savoir, la circulation routiere etait bien moindre que sur l'unique axe nord-sud, dans le Queensland il y avait d'avantage de routes alternatives et enfin je pouvais me diriger vers la longue chaine montagneuse littorale de l'est australien, la Great Dividing Range, et y trouver une plus grande diversite de paysages ainsi que de choix d'itineraires. J'aurais bien aime consacrer du temps a examiner la vue satellite du pays sur Google Earth, mais avec l'internet a 6 $Au de l'heure je faisais l'impasse sur cette etape ! Dans un premier temps, il me fallait donc rallier Mount Isa, premiere "grosse" ville de l'ouest du Queensland (selon les criteres australiens, soit un peu plus de 20000 habitants) a presque 700 km a l'est de Tennant Creek. Premiere ville et pratiquement premiere zone habitee de tout le trajet, a l'exception d'une station essence a 200 bornes de TC et de la petite localite de Camooweal a la frontiere des 2 provinces du NT et du Qld soit 200 km avant Mount Isa. Avant de partir, il me fallait gerer 2 aspects importants pour eviter de refaire les memes conneries des semaines precedentes: la maintenance du charriot et le stock de bouffe. En ce qui concernait la carriole, ce n'etait pas trop complique. Je devais mettre la main sur une autre tige filetee aupres d'un ferrailleur du coin pour avoir un nouvel axe de secours ainsi qu'une nouvelle paire de pneus. Les pneus que j'avais achete a Katherine etaient encore dans un etat correct apres plus de 700 bornes mais il y avait peu de chances qu'ils tiennent le coup jusqu'a Mount Isa. A 15 $ le pneu plus 6 $ la tige l'usage de mon charriot commencait a devenir couteux mais il etait desormais trop tard pour envisager de le remplacer ! Question alimentation, j'avais l'intention de proceder de maniere inedite: expedier par la poste un carton rempli de bouffe achetee a l'hyper de Tennant Creek a l'unique cattle station (une immense ferme d'elevage de vaches a viande) situee approximativement a mi-parcours entre TC et MI. De cette maniere je pouvais assurer un reapprovisionnement en cours de route sans risquer de surcharger ma charette des le depart, ni de devoir trop me rationner et surtout de me ruiner dans une epicerie paumee ! L'operation s'averait meme encore plus economique quand le petit vieux qui campait a proximite de moi au caravan park de Tennant Creek se proposait de deposer lui-meme mon carton tandis qu'il partait dans la meme direction avec sa bagnole. Une fois tout ces details regles en 2 jours a peine, je reprenais la route aussi sec. Une vingtaine de bornes a revenir sur mes pas vers le nord pour retrouver le carrefour Threeways et j'abordais enfin la "Barkly Highway", mon seul et unique fil conducteur jusqu'a Mount Isa.



La Barkly Highway sur les 200 premiers km de sa partie occidentale est le parfait cliche de la route australienne typique de bush: une succession d'interminables lignes droites presque sans relief a travers un paysage sahelien. Rien ou presque hormis de la broussaille et quelques buissons desseches, et pas la moindre trace d'eau nulle part. La partie entre Eliott et Tennant Creek etait deja particulierement vide mais il y avait tout de meme quelques zones qui temoignaient de la presence humaine voire parfois des bleds microscopiques. La rien, que dalle, juste du bush sauvage a perte de vue. Il n'y avait guere que dans le desert du Taklamakan et sur les haut plateaux du Qinghai en Chine occidentale que je n'avais rencontre des espaces desoles a aussi grande echelle. Marcher dans des endroits comme ca n'etait certes pas forcement toujours passionant mais quelque part c'etait vraiment reposant et propice a la reflexion: a velo il faut toujours garder un minimum ses sens en eveil pour eviter de se planter tandis qu'a pied le mode "pilote automatique" fonctionne a plein regime ! Cote traffic routier, j'avais considerablement gagne au change egalement: hormis une petite salve de touristes sur le coup de midi je ne croisais guere plus de 4 ou 5 bagnoles et camions par jour. J'avais presque la route pour moi tout seul ! Je pouvais au moins savourer la tranquillite en traversant ces contrees perdues. Avec la disparition des derniers points d'eau (toutes les creeks etaient desormais toutes assechees) il n'etait plus question de moustiques non plus. Avec la grande fraicheur nocturne et le vent violent lors des jours precedents mon arrivee a Tennant Creek ils s'etaient fait de plus en plus rares mais desormais l'environnement local ne leur permettait plus de survivre. Pour mon plus grand bonheur evidemment, surtout avec la tente de merde que j'utilisais ! En contrepartie, les mouches etaient plus envahissantes que jamais la journee. Ca en devenait meme completement insupportable par moment, j'en avais une nuee en orbite autour de moi en quasi permanence ! Dans ces cas la, il ne me restait plus qu'a utiliser la protection ultime: la moustiquaire de tete. C'etait tres efficace, je n'avais plus a liberer une main des poignees de mon charriot pour les ecarter de mon visage. Par contre, quand je n'en pouvais plus de voir une bonne vingtaine de mouches se ballader sous mes yeux et me barrer la vue ou quand tout simplement je ne supportais plus le bourdonnement incessant, j'employais la technique du sac en plastique: il suffisait d'enfiler rapidement un sac en plastoc sur la tronche puis de le retirer doucement pour pieger une bonne trentaine de mouches a chaque fois ! Ensuite on froisse le sac et on file le tout a bouffer aux fourmis. Avec cette methode, j'avais une paix relative pour au moins ... une petite demi-heure, le temps d'en re-collectionner de nouvelles en cours de route ! Puisque je les ai mentionne, les fourmis etaient assez emmerdantes la journee egalement. Au moindre break, des que je m'asseyais quelque part, elles rappliquaient aussi sec et en nombre. Le probleme, c'etait qu'elles s'introduisaient partout en l'espace de quelques secondes, dans les fissures de mes pompes, au dessus de la ceinture entre la chemise et le pantalon entre autres et piquaient direct. Et quand vennait l'heure de casser la croute, elles etaient naturellement en pleine frenesie et je devais changer de place tres regulierement pour stopper l'invasion. C'etait bien penible, surtout que les spots a l'ombre n'etaient pas vraiment nombreux ! Cote volatilles, il y avait surtout les corbeaux noirs, principaux charognards du bush (je vais y venir) mais aussi les perruches blanches dans les quelques zones plus boisees pres des creeks. Les uns comme les autres n'etaient pas particulierement laids comme piafs mais leurs cris etaient plutot crispants dans le genre: les premiers avaient une sorte de couinement qui ressemblait au rire de Gargamel dans le dessin anime des Stroumpfs (bon, la reference date mais c'est ce que j'ai trouve de plus ressemblant) tandis que les seconds s'epoumonaient a hurler un truc a mi chemin entre le cri du cochon et une gueulante de chanteur de heavy metal du debut des annees 90 ! En general, quand je me pointais ils s'envolaient en me tournant autour et en couinant le plus fort possible comme pour sonner l'alerte a leurs comperes ... et quelquefois ca pouvait durer des heures car a mesure que je progressais j'en reveillais de nouveaux ! Enfin pour etre complet dans la rubrique "30 millions d'amis", il y avait aussi les fameux kangourous.Ceux-la prenaient systematiquement  la fuite des qu'ils m’apercevaient. A vrai dire ils etaient surtout actifs apres le crepuscule, je les entendais sauter a proximite de ma tente a plusieurs reprises pendant la nuit (il m'avait fallu m'habituer au bruit surtout dans les broussailles, parcequ'au debut ca sonnait comme si quelqu'un courrait !). Mais depuis Darwin pratiquement, la plupart des specimens de kangourous que je pouvais observer etaient generalement morts. Il y avait une quantite hallucinante de cadavres sur les bords de route, que ce soit sous forme d'ossements ou de carcasses pourrissantes: le carton de kangourous avec bagnole etait presque un truc banal, un sport national, j'en avais ete temoin assez souvent d'ailleurs. D'apres ce qu'on m'a explique les kangourous sont un peu couillons et se comportent comme les poules lorsqu'ils traversent les routes ... cela dit comme tout le monde roule en pick-up ou 4x4 (et je ne parle meme pas des roads trains) peu de gens ralentissent vraiment quand ils apercoivent ces animaux. Je detestais particulierement trouver des animaux agonisant sur le bord de route: a chaque fois, je devais continuer mon chemin pour ne pas risquer de prendre un coup de patte si j'essayais d'abbreger leurs souffrances (les pattes posterieures des kangourous sont particulierement puissantes et leurs griffes plutot longues, c'etait un coup a finir eventre !). Respirer l'odeur de charogne en decomposition etait devenu tres frequent, sans vraiment m'en accomoder j'avais fini par m'y habituer a force ! En tout cas, les corbeaux avaient de quoi bouffer a coup sur en restant pres des routes !



Cela dit, les premiers 400 km etaient vraiment plaisant a parcourir, a deambuler tranquillement a travers le bush sauvage. Mais quand il fut question d'entrer dans le bassin du fleuve Georgina tout allait changer radicalement. Je ne sais plus exactement a quel km, le decors se mit a changer: le bush s'arretait brutalement pour faire place a une gigantesque plaine herbeuse qui s'etendait a perte de vue. Desormais, il n'y avait plus que de l'herbe jaunie et rien d'autre, sans le moindre arbre. Et il y avait surtout une cloture barbelee de part et d'autre de la route. A une bonne centaine de m de distance de chaque cote mais l'effet sur mon moral etait radical: non seulement le paysage etait deprimant au possible mais en plus j'avais la sensation d'etre prisonnier de la route pour la premiere fois en Australie ! Unique point positif de cette periode, le moment du ravitaillement approchait pour moi. Je m'etais rationne a bon escient juste pour que le stock zero de bouffe coincide avec mon passage a la cattle station ou mon carton m'attendait. La mission etait accomplie, je repartais meme avec quelques fruits et gateaux secs en prime de la part des ploucs de la ferme. A ce propos, j'avais commence a changer d'approche avec les gens en bagnole qui s'arretaient a ma hauteur: en gros quand on me demandait si j'avais besoin de quelque chose, je repondais que non mais desormais je mentionnais l'air de rien que j'accepterais volontier un fruit, le genre de truc evidement impossible a trouver dans le coin et qui de toutes facons ne pouvait pas se conserver plus de 2 jours avec la chaleur diurne. Et globalement je recevais quelques bons trucs, des fruits justement mais aussi des gateaux, des boites de conserve, des canettes de soda ou de bierre voire meme parfois du chocolat (bref, que des trucs qui coutent une fortune, meme aux supermarches) ! Question communication, ca dependait pas mal de l'origine geographique des australiens que je rencontrais: avec les touristes de la cote est et sud il n'y avait globalement pas de problemes de comprehension de part et d'autre mais par contre avec les ploucs du nord c'etait bien plus laborieux ! Je parle tres bien anglais, avec un fort accent francais certes mais je maitrise suffisament cette langue pour develloper des conversations normales. Mais j'ai une tres mauvaise oreille avec les accents, en particulier avec les americains ou les australiens du bush. En general, ils commencaient toujours par une reflexion spirituelle du genre " toi t'as l'air de quelqu'un qui ... (charabia incomprehensible)". Dans ces cas je me contentais de hocher la tete en souriant et ils n'y voyaient que du feu ! De toutes facon, pour etre franc c'etait surtout les touristes du sud qui me filaient a bouffer ... alors a quoi bon se casser le cul a essayer de piger leur baragoin !



Apres 120 bornes de morne plaine j'arrivais enfin a la frontiere d'avec la province du Queensland. La premiere localite depuis Tennant Creek, pres de 500 km plus loin, s'y trouvait. Par curiosite je jettais un oeil aux prix dans l'epicerie de Cammowheal et constatais avec etonnement que les valeurs indiquees etaient loin d'etre aussi cheres que dans les petits bleds du Northern Territory (en gros ca tournait a environ une fois et demi par rapport a l'hyper de Tennant Creek, a part les fruits et legumes bien entendu). Je n'achetais rien mais ca se presentait pas trop mal pour la suite ! Le temps de faire le plein de flotte dans la carriole, de faire la lessive et de me laver comme un pouilleux a un robinet d'un square et je repartais de suite. En entrant au Queensland j'avais d'entree de jeu droit a une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, en dehors des prix moindres, c'etait que la plaine etait terminee et que le bush classique reprenait ses droits. La mauvaise, et non des moindres, etait que dorenavant il y avait systematiquement de la cloture barbelee de part et d'autre de la route. Et pas a 100 m comme on en trouvait quelque fois au Northern Territory, mais a 20 m grand maximum. La loi devait etre differente au Queensland car a la frontiere des 2 provinces les barbeles s'etaient resseres sur la route comme un entennoir ! Du bush tout sec, sauvage et tout vide mais derriere du barbele ! En gros tout est propriete privee et pour le prouver on delimite le territoire avec une bonne cloture impeccable, quite a en foutre sur plus de 500 km de perimetre ! Je ne le savais pas encore mais j'allais cotoyer ces foutus barbeles de maniere presque ininterrompue jusqu'aux forets de la province de Victoria plus de 4 mois plus tard ... Ainsi pendant les 200 dernieres bornes qui menaient a Mount Isa il me fallait desormais debusquer un portail chaque soir pour pouvoir bivouaquer ailleurs que sur le bord de route. La chose n'etait pas toujours aisee car il fallait parfois se farcir plus de 20 km pour en trouver un. Au moins le cadre etait redevenu agreable c'etait deja ca. Puis j'arrivais enfin a Mount Isa. Mount Isa etait pour les criteres du bush australien une tres grosse ville (pres de 25 000 ha contre a peine 10 000 pour Katherine ou encore seulement 3000 a Tennant Creek). Une ville miniere assez laide de surccroit, avec vue imprenable sur l'immense site d'extraction de cuivre, terrils et complexe industriel aux cheminees massives inclus. En tout cas il y avait 2 hypermarches de grande taille, un Whoolworth et un Coles en centre ville et je me frottait deja les mains a l'idee d'aller visiter les bennes a la nuit tombee en mode "dumpsterdiving"  ... mais pas bien longtemps car j'apprenais qu'il n'y avait pas moyen de camper dans l'un des 5 caravan parks de la ville (oui les australiens dans leur majorite ne campent pas, ils sillonent le pays en camping car ou avec une remorque pour les plus pauvres) pour moins de 30 $Au (au NT ca variait entre 8 et 10 $)!!! A vrai dire j'avais bien essaye dans 2 ou 3 caravan parks de jouer la carte "grand aventurier sans le sou", basiquement en tenant le discours du genre: "vas-y, fais un geste bordel ! tu vois bien que je suis un grand voyageur a pied et tout, pas une baltringue de touriste ! fais moi un prix juste pour une nuit, merde !". En bien plus poli et avec les sourires de circonstances bien entendu mais absolument sans le moindre resultat ... C'est marrant quand j'y repense, tout les gerants de ce genre d'etablissements que j'avais rencontre auparavant ou ici a MI avaient vraiment des tronches de Tenardier. Ca doit etre un critere pour faire ce boulot faut croire ! Pas de break, pas de bouffe a l'oeil dans les bennes, pas de squatt pendant des plombes devant le Macdo pour le wifi ... he merde ! Je repartais donc aussi sec apres quelques courses a un hyper: les prix etaient au moins 2 fois moins cher qu'au NT. C'etait toujours ca de pris !  



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Commentaires

bonsoir,

j'ai eu grand plaisir et une bonne rigolade à vous lire !!!
on croirait du Bukovsky ?

continuez je vous suis.

cordialement

Macnodal

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