Australie: acte 1


premiere partie ou "prologue" de ma traversee de l'Australie (ou ma laborieuse re-conversion en marcheur apres une annee de cyclisme) - Australie North Territory part 1 Darwin - Katherine 17.06 - 09.07 - 22.07.2011

Le vendredi 17 juin a 4h du matin j'arrivais a Darwin, la ville situee a la pointe nord de  l'Australie. En sortant de l'aeroport j'avais pu constater a quel point la parano anti-terroriste avait gagne du terrain: j'avais passe plus de temps a faire la queue pour des controles divers qu'assis dans l'avion.  Le changement de statut aussi etait radical. Apres tant de mois a etre le seul blanc en Asie du sud est j'en etais redevenu un parmis tant d'autres. Enfin pas completement, avec mes fringues trouees et tachees de graisse de velo et surtout ma barbe de mollah j'avais une bonne degaine de clodo a cote des australiens de retour au bercail avec des T shirt "I love Bali" et la peau rougie par le soleil ... En tout cas une fois dehors une bonne surprise m'attendait: il faisait presque froid (12 degres sans doute). Enfin ! 30 mn de marche plus tard j'arrivais a la barraque du type de couchsurfing qui avait deja receptionne ma remorque achetee pusieurs jours auparavant sur e bay. Je restais 5 jours en tout sur Darwin pour preparer mon depart pour la grande traversee du pays: achat de materiel, de cartes et surtout adaptation de ma remorque a velo pour un marcheur. Ce dernier chantier en particulier me faisait douloureusement prendre conscience du cout de la vie tres eleve en Australie, et d'avantage encore dans les territoires eloignes du coeur economique du pays: le soudeur qui installa les barres pliees et adaptees sur ma charette me reclama 200 $Au au terme du boulot, et avec un discount de 30% (les artisans se font payer 90 $Au de l'heure a Darwin) ! Du bel ouvrage solide et durable, mais a quel prix ! En tout cas plus que les 160 $Au que m'avait coute la charette (dont 90 de frais de port) ! Heureusement pour mon budget, j'ai ete d'entree de jeu initie par mes hotes australiens a la pratique du "Dumpster diving". En clair il s'agissait d'aller recuperer chaque soir les produits jettes quotidiennement a la benne de l'hypermarche Whoolworth du coin. Et il y avait de tres bonnes surprises. Il fallait voir les quantites monstrueuses de bouffe en tres bon etat et presque rarement perimees qui finissaient a la benne, un gaspillage incroyable. Un emballage un peu froisse, une date un peu trop proche de la peremption ou quand il n'etait pas question tout simplement de vider un etalage complet pour faire de la place a un arrivage tout frais ... Passe 5 jours a fouiller les bennes, j'avais deja un stock considerable de bouffe haut de gamme pour commencer ma marche, et encore il m'avait fallu en laisser dans le frigo de mes hotes faute de place ! L'aspect budgetaire mis a part, passer de l'Indonesie a l'Australie revenait presque a entrer dans une autre dimension: rien que sur Darwin le trafic routier etait tres clairseme, il n'y avait pas le moindre scooter en circulation et il y avait des pistes cyclables de partout. Il n'y en avait que pour les petites residences ceinturees par des murs en beton, avec arrosage automatique de la pelouse, le 4x4 rutilant parque dans le jardin et le toutou reglementaire qui aboit derriere le portail. Le foisonnement perpetuel de l'Asie du sud est etait bien loin et c'etait vraiment reposant. Le retour a l'anonymat aussi faisait un bien fou. Darwin, bien qu'etant la capitale de la province du Northern Territory et la plus grande ville de toute la moitie nord du pays, faisait pale figure avec ses 75000 habitants en comparaison des standards asiatiques. L'ambiance etait quelque peu champetre (oh cette maudite musique country en fond sonore, les australiens adorent ca !) et les habitants ne semblaient pas stresses du tout. Il y avait aussi un nombre assez important d'aborigenes completement torches qui cuvaient a proximite des pubs ou des bottle shops (en Australie l'alcool ne peut etre achete qu'uniquement dans ces boutiques). Cela dit, j'avais pu constater que les australiens blancs n'etaient pas les derniers pour ce qui etait de mettre minable a la biere ... mais ils se cachaient mieux. Et puis ils causaient anglais certes, mais avec un accent digne des americains. Apres autant d'annees a causer anglais avec des non-anglophones il m'etait particulierement complique d'entraver la moitie de ce que j'entendais. De plus la plupart des australiens ne pigeaient pas non plus mon accent francais ! Les conversations etaient plutot fastidieuses, chacun faisant repeter l'autre a chaque phrase !



En quittant Darwin je devais me rendre dans un premier temps a Katherine, 350 km plus au sud est, la prochaine et derniere ville avant d'attaquer le bush nord australien. Il n'y avait pas un choix immense d'itineraires avec la foret tropicale, surtout qu'il me fallait esquiver les parcs nationnaux (entree payante pour certains et bivouac strictement interdit partout) et les territoires aborigenes (permis necessaire pour les traverser) dans le secteur. Grosso merdo je devais me debrouiller pour rester a proximite de la route principale qui relie Darwin a Adelaide tout au sud de l'Australie. Pour commencer je restais sur les pistes cyclables avant de progresser sur les pistes en terre plusieurs centaines de metres en retrait de la route. Sur ces pistes poussiereuses, pas trop rocailleuses ni sablonneuses, je n'avais pas trop de problemes a tirer ma carriole. J'avancais avec le sac sur le dos tandis que ma charette ne contenait presque exclusivement que la bouffe et l'eau stockes en grande quantite. Avec 25L d'eau et pres de 15 kg de nourriture en cargaison (sans compter le poids a vide du charriot: 20kg) l'engin etait parfaitement maniable: l'essentiel de la charge etait pose sur l'axe des roues et je ne ressentais pas le poids en tenant les barres de la charette a bout de bras, le principal effort consistait a impulser le demarrage apres une phase d'arret sinon je ne fatiguais pas vraiment en tirant l'ensemble (tant que la pente restait raisonnable). Les journees etaient encore assez courtes et je preferais ne pas forcer pour commencer en ne realisant que des distances de 20 a 25 km par jour. J'ambitionnais neanmoins d'accelerer progressivement la cadence pour faire du 30 a 35 km par jour a plus ou moins moyen terme. En Australie j'avais un an de visa mais je ne devais pas trop prendre l'habitude de trainer non plus car les possibilites d'approvisionnement en eau allaient s'espacer de plus en plus et pire encore pour se ravitailler en nourriture dans les tres rares villes du bush. Au moins les conditions climatiques etaient ideales pour voyager a pied et dormir dehors. Il ne pleuvait jamais en saison seche et les nuits etaient assez fraiches. La journee la temperature maximale ne depassait pas les 30 degres et le vent du sud qui soufflait etait raffraichissant, il n'y avait guere que le soleil qui cognait severement en debut d'apres midi. Mais l'air etait sec et je ne transpirais pas tant que ca, rien a voir avec le four humide equatorial que j'avais connu peu de temps plus tot en Indonesie ! Question paysages le top end australien, la partie nord du Northern Territory, consistait essentielement a une immense etendue boisee. Une foret tropicale certes, mais pas si dense au final: avec des arbres qui ne depassaient rarement les 5 m de haut, pas tres larges et au feuillage plutot leger. Il y avait quelques secteurs vallones mais dans l'ensemble c'etait le plat qui dominait. Bref c'etait l'ideal pour camper dehors. Le probleme de savoir ou passer la nuit etait devenu completement secondaire: pratiquement n'importe ou pouvait faire l'affaire avec ces immenses espaces secs, plats, pas trop envahis par la vegetation et absolument sans ame qui vive dans un rayon de plusieurs km aux alentours ! Avec toute la flotte que je trimballais je pouvais meme me permettre une mini douche chaque soir avant de me coucher. Il y avait bien quelques rivieres pas encore seches dans la region mais elles etaient notoirement infestees de crocodiles ! Je devais selectionner les plus petites (celles dont on peut appercevoir le fond) pour me laver les cheveux ou mes fringues mais en prennant tout de meme le soin de jetter toujours un coup d'oeil en amont et en aval regulierement ! Ce retour a la marche apres une annee de cyclisme commencait plutot bien, toutes les conditions etaient ideales.



Seulement voila, au terme de la premiere semaine je commencais a ressentir une douleur au niveau du tendon d'achille du pied droit. En general je suis surtout sujet aux problemes de genoux et je ne m'en inquietais pas outre mesure: par le passe il m'etait souvent arrive d'avoir ponctuelement des douleurs aux pieds ou aux jambes l'espace de 1 ou 2 jours qui disparaissaient sans le moindre traitement ni arret. Mais cette fois ci elle ne partait pas, au contraire elle s'intensifiait de jour en jour. La douleur rayonnait jusque sous le talon, ce qui rendait la marche plutot inconfortable. Je me retrouvais rapidement a boiter de la jambe droite et decidais de marcher sans le sac a dos en le placant sur la charette avec mes anciens tendeurs de velo. Cette mesure me soulageait provisoirement la cheville mais passe 2 jours la douleur s'amplifiait a nouveau. Puis ce fut le tour de ma cheville gauche: exactement le meme probleme ... pour le coup je commencais a m'inquieter serieusement. Loi de l'emmerdement maximum oblige, je constatais a la meme periode que les 2 pneus de ma charette s'usaient tres rapidement. A la livraison de la remorque, les pneus etaient deja disposes sur les roues et je n'avais pas vraiment prete attention a leur qualite. Pire, je n'avais achete qu'un pneu et une chambre a air de secours a Darwin en me basant sur mon experience a velo (les memes pneus de la Chine a la Malaisie en permutant une fois celui de la roue avant sur l'arriere et vice versa). Et ce qui devait arriver arriva. Passe 200 km a peine, le premier pneu etait deja foutu et il me fallait le remplacer ... tandis que l'autre commencait serieusement a se fissurer. Il me restait un peu moins de 150 km a tirer pour rejoindre Katherine, la premiere ville, et je n'avais guere plus d'autre choix que de rester sur la route pour eviter de detruire ce pneu trop rapidement. Mais avec les tendons d'achille et les talons douloureux, marcher sur le bitume n'etait pas chose aisee ! Je marchais la plupart du temps sur les bas-cotes ou le sol moins ferme me permettait des foulees moins penibles. Malheureusement, les bords de route du coin etaient de veritables depotoirs de vieux pneus et pire encore, de  lambeaux de pneus eclates avec plein de filaments metaliques pointus dedans. En Australie, et plus particulierement dans les regions paumees, les immenses poids lourds qui tractent jusqu'a 3 voire 4 remorques, les "roads trains", mettent bien un bon km pour s'arreter une fois lances et lorsqu'ils crevent un de leur 60 pneus celui-ci se disloque sur toute la distance ! Malgre ma vigilance, il m'arrivait parfois d'avoir jusqu'a 2 crevaisons par jour ! A ce rythme la, j'avais fini par detruire une chambre a air a moins de 60 km de Katherine et reparais en direct chaque crevaison. Le dernier pneu d'origine rendait l'ame progressivement avec des trous gros comme le pouce laissant depasser la chambre a air: je colmatais avec des vieux chiffons trouves sur le bord de route en guise de pansement ! Avec les 2 chevilles niquees et les crevaisons a gerer, je parvenais tout juste a faire des journees de 10 a 15 km. En gros je marchais (enfin boitais) un peu moins d'une heure avant de m'affaler par terre en retirant mes pompes pour une bonne demi-heure a chaque fois ! C'etait vraiment pathetique ... on ne pouvait imaginer pire debuts alors que je n'avais qu'a peine entame ma traversee de l'immense et aride Australie.



Et puis finalement j'arrivais le 9 juillet a Katherine. Je faisais face a un dilemne d'entree de jeu: que faire ? J'en avais forcement pour 1 voire 2 semaines d'inactivite forcee. J'avais repere les environs avant la ville et il m'etait impossible de bivouaquer a la fois durablement et dicretement a moins de 5 km du centre. Pour trouver l'eau c'etait jouable dans la zone industrielle proche mais pour aller faire les bennes du WhoolWorth il me fallait me tapper quotidiennement l'aller-retour au centre ... pas terrible pour une convalescence. En desespoir de cause, je finissais par trouver un etablissement pour backpackers qui faisait un "discount" pour les cyclistes (pour un marcheur aussi forcement), a savoir 11 $Au la journee. Pas vraiment terrible question budget mais les circonstances etaient exceptionelles. En campant la bas, j'avais en plus de l'eau, l'electricite et d'une cuisine, le macdo a  100 m qui offrait une connection wifi internet ultra limitee et tres lente mais gratos donc mieux que rien et surtout l'hypermarche WhoolWorth a peine plus loin. Et pendant 2 semaines je n'en branlais pas une, a lire sur le laptop (j'avais telecharge des tonnes de trucs a Darwin), a discuter le bout de gras avec les jeunes etrangers de passage ou "residents" qui bossaient dans le coin, a echanger des infos avec des cyclistes qui vennaient du sud de l'Australie et en partance pour l'Asie, a mater la retransmission tardive (decalage horaire oblige) du Tour de France cycliste avant d'aller enfin "visiter" les bennes du WW vers 2h du mat. Avec ma lampe frontale, mes gants de manut chinois et surtout ma carriole pour ramener le butin, j'allais rigoureusement chaque soir boiter jusqu'aux bennes ! Et meme si globalement le volume etait moins important qu'a Darwin, je revenais systematiquement avec de quoi bouffer pour les 2 ou 5 prochains jours. En fait je recrutais souvent un "Side-Kick" de l'etablissement ou je sejournais pour m'aider et on se partageait la bouffe apres coup. Le plus souvent des cyclistes ou des voyageurs a budgets ultra serres de passage comme ce jeune musicien japonais qui m'accompagna pendant pres d'une semaine (oui que des males, on n'invite pas les dames a faire les poubelles ^^). Au moins je n'aurais rien depense en thunes pour becquetter pendant ces 2 semaines ! Et puis que du bon avec des pizzas et plein de plats surgeles, des fruits et legumes en quantite, des gateaux et patisseries, du fromage (j'ai trouve du brie et du roquefort une fois !), du pain biologique ... etc. Je devais tourner a quelque chose comme 50 ou 60 $Au de valeur de bouffe engloutie par jour ! Il y avait longtemps que je ne m'etais pas empiffre comme ca ! Je constatais egalement pendant mon sejour qu'il etait aise de trouver un boulot au black meme hors saison des cueillettes. Cela dit, je preferais ne rien faire pour ne pas compromettre la guerison de mes chevilles. A vrai dire, j'avais rencontre suffisement de cyclistes pour apprendre que je souffrais d'un symptome classique pour quelqu'un qui avait passe pres d'un an a pedaler: a velo les chevilles ne travaillaient presque pas et la transition vers la marche avait provoque une sorte de tendinite aux tendons d'achille. Bref, il fallait que je boive beaucoup d'eau et que je n'en foute pas une pour me retaper. Au bout de 2 semaines donc, j'arrivais enfin a marcher sans boiter et je pouvais a nouveau descendre des escaliers sans souffrir le marthyre. Il etait temps pour moi de repartir, surtout que je commencais franchement a me faire chier ! La veille de mon depart, j'allais pour la premiere fois faire des courses au WW pour acheter des trucs dont j'avais besoin pour marcher que je n'avais jamais trouve en benne (sac de cereales, boites de sardines ... etc). Je constais avec effroi la realite des prix en Australie du nord dans ce qui etait sans doute un des endroits les moins chers avant Alice Springs 1600 km plus au sud: les sachets d'un kg de raisins secs (j'en avais recupere pres de 10 kg en benne) etaient a 12$, le kg de banane a 15 $ (si, si !!!) ... et j'en passe !


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