La prison a vaches

La poursuite de ma traversee du Queensland occidental jusqu'aux premiers reliefs de la cote est - Australie part 4 Queensland Mount Isa - Saphire 15.09 - 16.10.2011


A partir de Mount Isa, je n'avais plus qu'une idee en tete: me rapprocher de la cote est et de l'ocean Pacifique. Il y avait bien l'option aventureuse qui consistait a traverser du desert en partant sur des pistes plein sud puis basculer progresivement vers le sud-est du Queensland, mais pratiquement 2000 bornes a parcourir avec juste 2 ou 3 micro bleds sur le parcours, meme avec un charriot, c'etait mal barre pour assurer avec la bouffe ou alors c'etait du suicide budgetaire ! A velo avec une remorque j'aurais probablement tente le coup mais il n'etait plus question de pedaler ... Bref, une fois encore l'unique solution etait de suivre la route vers l'est. En l'occurence il y en avait 2: passe 120 bornes, la route se separait en 2 axes, l'un vers Townsville plein est et l'autre sud-est en direction de Rockhampton. La premiere option avait en cela de seduisant d'etre plus courte et de deboucher sur la fameuse barriere de corail de la mer du meme nom. La 2eme etait certes plus longue mais offrait au niveau d'Emerald, a 300 bornes de la cote, une grande variete d'itineraires secondaires pour le premiere fois. Je choisissais la seconde configuration car en prennant le cap vers Townsville je risquais par la suite d'etre coince sur l'unique axe cotier dans des zones peuplees et aussi car la saison seche touchait a sa fin. Se farcir la saison des pluies sur la cote nord tropicale du Queensland, tres peu pour moi ! A l'interieur des terres la pluviometrie etait bien moindre d'une part, et en me dirigeant vers le sud je pouvais esperer limiter la casse avec les grosses chaleurs a venir. Ainsi donc le choix etait fait, comme d'hab en considerant les cartes papier car je ne pouvais pas me payer le luxe de tout examiner grace a internet sans vider mon PEL en frais de connection !



J'avais quitte Mount Isa le jour meme de mon arrivee en prenant soin de charger au maximum ma carriole de bouffe meme si je ne devais jamais passer plus d'une semaine sans traverser une petite ville dans le pire des cas. Pour la premiere fois j'esperais pouvoir manger le soir et avoir enfin 3 repas par jour ! Et ce ne fut peut etre pas une bonne idee car les premiers 120 km entre Mount Isa et Cloncurry etaient quelque peu montagneux: tirer une charrette pleine a craquer dans les cotes c'etait du sport l'air de rien, et les descentes n'etaient guere plus facile a aborder quand on n'a pas de frein. Comme avant MI, il etait question de bush boise sans ame qui vive, mais comme de bien entendu, barricade derriere une robuste cloture barbelee a 5 brins minimum tendus bien raides. Mais en prime la plupart des portails etaient cadenasses. C'etait a se demander si les prix prohibitifs des Caravan Parks de MI incitaient certains a tenter le camping sauvage dans de tels espaces vides ... heureusement les proprietaires du coin veillaient a ce que de telles initiatives soient condamnees d'avance. Il m'a donc fallu pendant ces premiers jours prendre quelques mesures pour passer par ces portails: il y avait bien moyen de bricoler les fixations des cables sur les poteaux pour pouvoir les detendre et les ecarter mais il y avait toujours ce putain de brin a 5 cm du sol, qui meme relache risquait de crever mes pneus si je le couchais a terre. Pas moyen de peter les cadenas non plus, ces modeles la etaient incassables. Toutefois, je pouvais quelques fois desserer les boulons des gonds de certains portails avec les outils de ma charette et passer  ! Apres Cloncurry j'obliquais vers le sud est et profitais encore un temps du bush sauvage mais plat cette fois ci. En cette fin septembre le trafic routier etait tres leger sur cet axe et les portails n'etaient plus verrouilles, ca se presentait pas trop mal ... mais passe 150 bornes une mauvaise surprise m'attendait. Comme lors de mes derniers km dans le Northern Territory, le bush s'arretait net et faisait a nouveau place a de la plaine sans arbre. He merde ! Je venais d'entrer dans le bassin de la Diamantina, autre fleuve qui comme le Georgina allait alimenter un grand lac dans le desert du sud de l'Australie (en saison des pluies uniquement, le reste de l'annee tout est sec). Ce coup ci j'en prenais pour plus de 500 km de plaine interminable, jusqu'a Longreach exactement. Ces presque 2 semaines qui suivirent furent vraisemblablement les plus chiantes de ma traversee de l'Australie. Il n'y avait rien a profiter, juste marcher jour apres jour sous un soleil de plomb sans la moindre opportunite de faire un break ou de bivouaquer a l'ombre avant la delivrance du crepuscule. Le cadre etait deprimant au possible: juste la route, des barbeles, de l'herbe jaunie par le soleil ... et des boeufs. J'avais nomme cette zone la "prison a vaches" car je passais mes journees a voir ces couillons de bovins detaler comme des lapins derriere leur cloture a mesure que j'avancais ou entasses dans l'une des 2 ou 3 remorques des road-trains en partance pour les abattoirs de la cote. Ces foutus stock-trains j'en avais bien une douzaine qui me doublaient chaque jour, en me gratifiant a chaque fois d'un delicieux fumet de merde de betail ! En ce debut de printemps austral, les temperatures augmentaient de jour en jour et je cuisais litteralement a petit feu passe 8h du mat. A chaque break, je devais mettre des chiffons sur les barres de ma charette sinon je devais sacrifier de l'eau pour les reffroidir et eviter de me bruler les mains au moment de repartir. A propos de flotte d'ailleurs, je constatais que le gout de l'eau n'etait pas vraiment un critere important au Queensland: a chaque ville je decouvrais de nouvelles saveurs toujours plus infames que les precedentes (gout de terre moisie a Mount Isa, bouquet et parfum d'oeuf pourri a Winton ... etc) ! Sinon, grace a ma charette je n'en manquais jamais et je pouvais me permettre le luxe d'une petite douche chaque soir (avec l'eponge a lustrer les bagnoles achetee en Indonesie, 1 ou 2 L maxi suffisait): j'utilisais depuis un bon moment la technique du chauffe-eau solaire en laissant entreposee toute la journee une bouteille sur la bache noire du charriot. Pour pouvoir bivouaquer avant le crepuscule sans suffoquer sous la tente et beneficier d'un peu de discretion, j'avais commence a squatter les passages pour creeks sous la route. Ce n'etait pas exceptionnel question acoustique mais c'etait a l'ombre et bien ventile et de toutes facons, a la tombee de la nuit le trafic routier devenait inexistant. A l'aube, j'avais droit au reveil matin quand le 1er stock-train passait en trombe et faisait secouer tout le merdier comme lors d'un seisme !



De cette longue et fastidieuse traversee de la "prison a vaches" je n'ai vraiment que 3 bons moments a me rememorer. Le premier fut lors du match de poule France-Nouvelle Zelande de la coupe du monde de rugby. J'avais planifie d'atterrir dans un micro bled pour mater le match dans un pub (ils ont les chaines cablees sportives !) et le patron m'avait offert gracieusement l'opportunite de camper dans le mini caravan park de l'etablissement. Beaucoup de routiers qui avaient reconnu le gland qui marchait avec sa charette m'avaient file plusieurs coups a boire aussi, ce qui ne gache rien ! Bon, la France avait perdu ce soir la et les margoulins de la tv australienne avaient passe le match en differe pour le larder de coupures pub (absolument insupportable: toutes les 4 ou 5 mn, il y avait de quoi hurler !) mais ca restait une bonne soiree en somme. Le second bon souvenir correspond avec la rencontre d'un vieux bourlingueur finlandais de 65 piges qui passait par la en bagnole avec un de ses camarades australien. Le gars vadrouillait autour de la planete depuis ses 17 ans et avait notamment traverse le moyen orient a pied avec une charrette similaire a la mienne ! Il me filaient de suite un bon tuyau. A  savoir, 50 bornes avant Emerald il y avait une localite nommee Saphire ou n'importe qui pouvait se pointer pour prospecter librement des saphires justement. A les ecouter le boulot n'avait pas trop l'air difficile et ca pouvait rapporter pas mal: ils etaient restes 2 semaines et avaient recolte pour 3000 $Au de caillasse ! Le bled en question etait a peu de choses pres situe sur ma route et l'experience me tentait forcement. Ca semblait plus bandant que d'aller ramasser des tomates au black dans les plantations pres de la cote c'est sur ! Avant de nous separer, le pote australien me refilait des fruits et surtout une bonne poignee de skunk du cru: en fumant 2 petards par jour j'etais suffisamment anesthesie pour supporter la penible marche dans la plaine jusqu'a Longreach ! Enfin la derniere aubaine, je trouvais un portefeuille sur le bas-cote de la route. Il y avait 200 $Au dedans ! En general je ne prettais que peu d'attention au merdier qui jonche le bord de route: la plupart du temps il n'y avait que de la litterature pour routiers avec poster central manquant et pages collees ou des bouteilles pleines de pisse (de routiers aussi). Mais ce jour la, meme avec l'esprit embrume par la beu, mon radar de crevard avait tres bien fonctionne ! Pendant un moment je craignais que les biffetons soient faux (c'etait la premiere et seule fois que j'avais des coupures de 100 en main) mais mes doutes se sont tres vite dissipes quand j'en ecoulais un sans probleme a l'hyper de Longreach quelques jours plus tard.



Et ainsi donc j'arrivais finalement a Longreach. Les derniers km qui precedaient la ville etaient redevenus du bush forrestier et je savourais ces retrouvailles avec un plaisir non dissimule ... mais la celebration ne dura pas longtemps. Car mon entree dans la zone boisee coincidait avec mon premier jour de pluie en australie, apres plus de 4 mois sans la moindre precipitation. Et en l'occurence il s'agissait d'un tres gros orage ! Ma tente igloo a 2 balles montrait de suite de serieux problemes d'etancheite que je parvenais a peine a limiter en placant une bache en plastique par dessus. Dans mon malheur je pouvais au moins me rejouir de subir cette tempete dans un secteur boise: la vegetation bloquait partiellement les rafales de vent et le ravinement etait canalise dans certains passages. Je n'ose meme pas imaginer le desastre si j'avais ete dans la maudite plaine, a m'engluer dans la boue en prime ! Ce soir la cependant, l'orage ne fut pas le seul probleme a gerer: peu de temps apres la fin des dernieres pluies j'ai du faire face a une veritable invasion de tiques. Des tiques de 2 mm de long qui s'introduisaient sans peine a travers les mailles grossieres de la partie moustiquaire de ma tente (deja que les moustiques 2 a 3 fois plus gros y parvenait auparavant !) par petites vagues successives. Je ne sais pas si la presence massive de tiques etait normale dans le coin ou si la pluie les avait subitement reveille de leur "hibernation" mais le flot ininterrompu devenait tres preoccupant (j'en avais crame pas loin d'une cinquantaine au briquet en l'espace de 2h). Au crepuscule je deplacais la tente d'une bonne centaine de metres pour m'epargner une chasse nocturne a la lampe mais malgre cette ruse il m'aura tout de meme fallu en buter une petite dizaine au cours de la nuit (j'ai une sorte de 6eme sens qui me reveille quand j'en sens une qui se ballade derriere les oreilles ou dans la barbe !). Les 100 bornes qui separaient Longreach et Barcaldine, la prochaine ville, etaient desormais une sorte de plaine partiellement boisee mais avec tiques en prime. Meme si elles etaient moins nombreuses par la suite, j'avais regulierement droit a ces visiteurs dans ma  tente a chaque bivouac et je devais consacrer du temps tout les jours a m'inspecter la peau. Il faisait globalement beau pendant la semaine qui succedait a ce premier orage mais il ne faisait aucun doute que la saison seche etait desormais terminee. Les formations nuageuses dans le ciel indiquaient clairement ce changement avec dorenavant la presence reguliere de cumulus de basse altitude. En depassant Barcaldine je penetrais pour de bon dans le secteur de la Great Dividing Range, la longue chaine montagneuse qui borde toute la partie orientale de l'Australie. Ce n'etait pas encore de la montagne a proprement parler mais plutot de la succession de collines de 500 a 800 m. Rien de bien ardu a traverser mais la presence de ces reliefs reduisait quelque peu mon allure: si une lourde charette peut se tracter d'un doigt sur du plat, la manoeuvrer demande bien plus d'effort dans les pentes loin s'en faut ! Au moins il n'etait plus question que de bush forestier desormais, il etait vraiment sympathique d'evoluer a travers un tel cadre. Seule ombre au tableau: les orages presque quotidiens. Quelque fois j'avais du bol et ils passaient plusieurs km a cote et d'autres c'etait pour bibi ! Ca ne durait rarement plus de 2h mais il arrivait frequement que je me prenne des hallebardes sur la gueule avec les eclairs qui zebraient tout autour: j'etais presque instantanement trempe jusqu'a l'os mais une fois l'orage termine je sechais generalement assez rapidement. L'avantage avec une charette bien horizontale c'est qu'il est tres facile de proteger tout le matos avec une simple bache en plastique, tandis qu'avec un sac sur le dos, meme couvert, l'eau s'introduit toujours derriere les epaules et ruisselle a l'interieur. Au final ce n'etait pas si difficile de marcher pendant les orages, il fallait juste esperer ne pas se prendre le tonnerre sur le coin de la gueule ! Par chance, les orages etaient principalement diurnes, car il etait clair que ma tente n'aurait pas pu supporter un tel traitement a long terme ! Et puis un mois apres avoir quitte Mount Isa, j'approchais du Gemfield, la region a pierres precieuses du Queensland ou se trouvait le bled de Saphire, mon Eldorado !


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Commentaires

Wouahou!

Mais c'est que tu nous mets l'eau à la bouche pour le prochain récit avec tes saphirs dit donc!
Moi qui comptais faire les tomates au black pendant six mois, j'ai soudainement de nouvelles envies!

Merci en tout cas pour tes deux derniers récits, en plein Bac c'est extra de lire ça pour souffler un peu! :-P

Bonne continuation au Chili!
Ciao mec

Coucou
je vois que je suis pas la seule à galérer pour tenir un blog "presque" à jour ;-)
Je suis arrivée en Macédoine, donc quelques temps avant de te rattraper ^^
http://www.sandperiple.com

Le jeudi 06 septembre 2012 à 18:17 par sylvain

re

salut tout le monde et merci pour les compliments tout ca !
je suis hyper a la bourre pour tenir ce foutu site a jour mais dans quelques mois il va falloir que je me pose quelque part dans une capitale pour refaire mon passeport: ca sera peut etre enfin l´occasion pour moi de rattraper tout le retard ! enfin j´espere du moins.

@Francis:
je dois bien admettre que je ne pourrais pas vraiment te rencarder de ma propre experience sur ce genre de probleme (la plupart du temps les gens me prennent pour un allemand, c´est penible aussi a force apres toutes ces annees, bordel!). cela dit, le monde est tel qu´il est et j´ai bien peur que tout le monde ne fasse pas toujours preuve d´intelligence malheureusement. comme souvent, dans les coins recules les gens n´ont bien souvent jamais vu de personnes a la peau noire (a part a la tv j´imagine), et ont beaucoup de prejuges et de cliches en tete ... c´est con mais on ne peut pas y faire grand chose en tant que simple voyageur.
cependant il y a enormement de continents dans le monde ou ca ne poserait pas de probleme comme en amerique du sud et probablement dans toute l´Asie orientale par exemple ou dans la plupart des pays "occidentaux" a priori. forcement y´a pas mal de chances que tu te farcisse d´avantage de controles d´identites, surtout dans le sud de l´Europe par exemple ou ils flippent de voir debarquer des immigrants clandestins (avec mes anciens partenaires de Toutenmarchant on avait eu droit a plein de controles de police en Italie et Grece notamment - ils nous prennaient pour des clandes moldaves manifestement). l´astuce c´est d´avoir un ou plusieurs aricles de journaux papier ou l´on figure comme voyageur francais a pied (les journalistes ne demandent que ca de publier un papier sur ce sujet) et ca detend toujours l´atmosphere, que ce soit avec les flics comme les autochtones.
bon courage pour ton voyage donc.

bye a tous

Sylvain

Toutes mes félicitations pour vos efforts consentis et qui sont à encourager.

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