En route vers la Cappadoce

La marche entre Ankara et Aksaray, decembre 2008 (Toutenmarchant)

Munis de notre précieux équipement d'hivers, nous pouvions enfin quitter la capitale pour nous diriger vers la Cappadoce. Il était convenu que nous allions à Aksaray pour, une fois sur place, effectuer un aller-retour en Grèce en bus afin de renouveler notre visa turc. En effet il s'avérait qu'il revenait presque dix fois moins cher de procéder ainsi que de payer une rallonge de trois mois supplémentaires sur place... notre apprentissage des procédures consulaires venait de commencer.
Le premier jour fut un peu particulier: Thierry devait récupérer un sac-a-dos neuf commandé dans un centre commercial au sud d'Ankara puis réexpédier dans la foulée l'ancien chez lui à Valence pour bénéficier de la garantie. Nous allions donc traverser la ville du nord au sud pour arriver au magasin dans l'après-midi. Puis vint le moment de rejoindre un bureau de poste que nous eûmes la mauvaise surprise de trouver fermé, une demi-heure plus tôt que la plupart des officines d'Ankara. Problème: nous étions un samedi soir et les bureaux de poste n'allaient re-ouvrir que le vendredi prochain car des lundi commençait les quatre jours fériés du Kurban Bayram (Aïd el-Kebir) ! Thierry allait ainsi se trimballer son vieux sac pendant presque une semaine, fixé sur le neuf. Le soir même nous allâmes dormir dans un petit cyber-café au sud d'Ankara avec l'accord du patron qui parlait français, pendant que celui-ci et quelques habitués insomniaques jouaient à «World of Warcraft» !

Le lendemain nous quittâmes pour de bon la capitale en nous enfonçant directement dans le profond vallon qui borde la ville avant d'entamer l'ascension d'une crête. Cette journée fut particulièrement difficile, d'une part parce que les sacs, pour la première fois en configuration hivers, étaient bien plus lourds qu'auparavant mais surtout parce qu'au terme de trois semaines de repos forcé a Ankara, nous avions quelque-peu perdu notre condition physique des premiers mois. Pour clore en beauté cette journée, nous nous aventurerons (trop) près d'une caserne de militaire paumée dans la montagne, ce qui nous vaudra d'attendre pas loin de trois-quarts d'heures dans le froid un contrôle de passeport. Les trois jours suivants nous continuerons de nous éloigner de la capitale plein sud dans un secteur où les reliefs étaient encore marqués. C'est aussi à cette époque que nous connaîtrions nos premières chutes de neige depuis notre départ huit mois plus tôt, rien de bien méchant mais une première quand même. Pendant les quatre jours du Kurban Bayram, nous allions encore une fois avoir l'occasion de bénéficier de la générosité et de l'hospitalité des villageois turcs. A plusieurs occasions, nous serions invités à partager un repas copieux et succulent à base de viande de mouton, le plus souvent égorgé le jour même. Les jours qui suivirent nous allions descendre de Bala en direction de Şereflikoçhisar, ville susceptible d'avoir un ou plusieurs bureaux de poste, de manière à ce que Thierry puisse se séparer de son encombrant fardeau.

Pendant quatre jours nous traverserons une immense zone dénudée constituée de collines herbeuses où les pâturages succédaient aux champs labourés. Seuls quelques villages de temps en temps venaient rompre la monotonie du paysage. Déambuler dans ce décors n'avait rien de particulièrement passionnant d'autant que les précipitations des derniers jours avaient complètement humidifié les sols. En gros, on passait le plus clair de notre temps à marcher dans la boue. Une boue partiellement solidifiée mais suffisamment visqueuse pour compliquer tout nos déplacements: non seulement le sol était glissant à souhait mais en plus nous avions en permanence une couche de plus de cinq centimètres collée sous chaque pied qui nous alourdissait les jambes de plusieurs kilos supplémentaires ! Grimper une côte dans ces conditions s'avérait particulièrement épuisant et frustrant. Une fois rendus à Şereflikoçhisar, nous allions évoluer les cinq prochains jours et ce jusqu'à Aksaray le long du littoral du grand lac salé, le Tüz gölü. Pas de reliefs sur cette portion, toute plate ou le sol était néanmoins beaucoup plus stable qu'auparavant. Au programme, une longue et fastidieuse marche en ligne droite dans les champs au pieds des montagnes côtoyant le lac et avec la route nationale à quelques kilomètres sur notre droite. C'est pendant cette période que nous ferions connaissance pour la première fois et en nombre des fameux «Kangals Köpeks». Ces chiens énormes (pour vous situer il n'était pas rare d'en croiser certains du gabarit d'un veau) sont parmi les plus massifs au monde et sont globalement pas très amicaux. Si d'aventure il nous arrivait de passer à proximité d'un troupeau de moutons, la punition ne tardait guère à venir: nous nous retrouvions encerclés de quatre ou cinq molosses gigantesques aboyant et montrant les crocs à 2-3 voire 1m de nous ! La parade: progresser tout les trois dos-a-dos avec les bâtons de marche hérisses de toutes parts tout en foutant le camp ! Nous aurions également l'occasion de visiter l'École primaire d'un petit village sur invitation des instituteurs. Nous rencontrerons un jeune enseignant, récemment revenu de son service militaire. Il semblait profondément marqué et quelque peu traumatisé par cette expérience car il avait été appelé dans la région de Bingöl, ou les activistes du PKK livrent une véritable guérilla avec l'armée régulière... dont les jeunes appelés fournissent l'essentiel de la chair à canon. Forcément ça donne pas envie d'aller crapahuter par là-bas ! C'est aussi à cette époque que nous allions dormir pour la première fois dans une grotte, abri de berger plutôt sommaire taillé dans un canyon proche du lac, pratique que nous allions renouveler très souvent dans la fameuse Cappadoce à l'avenir mais dans un genre plus sophistique.

Le dernier soir, alors que nous étions dans les faubourgs d'Aksaray, nous essuierons coup sur coup deux échecs en demandant un local pour passer la nuit auprès respectivement de la mairie et de la mosquée du village. Mais en pénétrant dans un petit cyber-café nous ferions connaissance avec le neveu du maire qui nous guidera finalement vers un local municipal ou nous pourrions rester la nuit. Nous comprenons vaguement qu'il risque d'y avoir un peu de passage en début de soirée mais qu'a partir de 22 h nous serions tranquilles jusqu'au lendemain. On nous offrira un repas, nous abreuvera comme il se doit de thé puis à mesure que le temps passera notre local se remplira progressivement de villageois jusqu'à réunir plus de soixante-dix personnes ! Certains parlant anglais, allemand ou même français nous expliqueront qu'il s'agissait en fait d'une sorte de meeting pré-électoral ou le maire de l'agglomération, le "Başkan", venait faire campagne auprès des habitants du village. Seulement voilà: notre présence captivait d'avantage l'attention et la curiosité de l'assemblée que la réunion en question, et nous faisions l'objet d'un flot ininterrompu de questions ! Le Başkan, arrivé en fin de soirée, dans un élan de générosité soudain, par calcul électoraliste ou bien tout simplement pour se débarrasser de nous, décida de nous offrir une chambre dans un hôtel pour sportifs d'Aksaray. Jack pot ! Une pièce chauffée, des lits, une douche chaude et l'opportunité de laver enfin nos vêtements recouverts de boue ! On n'aurait pas imaginé meilleur scénario. Les trois jours qui suivirent nous allions les consacrer à revenir en arrière en direction d'Edirne pour réveillonner en Grèce avant de revenir à nouveau sur Aksaray début 2009.

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