Dengue ou Malaria ?

Mon sejour a l'hosto a Lomkao et Petchabun, Thailande part 2 Lomkao - Bangkok 04.01 - 21.01.2011

En quittant les montagnes proches de la frontiere laotienne j'avais commence a ressentir les premiers symptomes de ce qui semblait etre la malaria, ou le paludisme si vous preferez. Le secteur etait encore tres rural, la premiere grande ville, Petchabun, etait a pres de 50 km mais je me voyais mal y parvenir par mes propres moyens. Car en dehors de l'immense fatigue qui me plombait la sante, il fallait que je compose avec mon velo en pietre etat lui aussi. Pedaler sur des petites cotes avec le grand plateau uniquement m'etait devenu tres penible, et marcher en poussant le velo a mes cotes n'etait guere plus facile. Mon salut vint 7 km a la sortie de la petite commune de Lomkao alors que j'appercevais un hopital en retrait de la route, le Prince Crown Hospital de Lomkao. Je confiais mon velo avec le matos dessus aux vigiles et entrais dans le hall d'accueil bonde de monde. Personne n'etais vraiment anglophone et j'ai eu toutes les peines du monde a faire comprendre au personnel que je n'etais pas un touriste avec une simple grippe et a exiger un controle sanguin. Je passais en tout 6h dans le hall d'attente a renouveler les consultations et a multiplier les controles sanguins. Dans le courant de l'apres midi, la docteur m'annoncait qu'ils n'avaient rien trouve dans mon sang (pas de Malaria, Typhoide, Leptospirose ... etc) mais que mes symptomes et surtout le bilan sanguin indiquaient clairement que j'avais contracte la Dengue (chute des plaquettes). A vrai dire ca me semblait tout a fait plausible car ses symptomes (maux de tete, grande fatigue et fievre) sont les memes que ceux du palu et puis la dengue etait endemique en Thailande. J'etais admis comme patient dans la foulee et en moins de 2 je me retrouvais avec une perfusion dans le bras et revetu du pyjama reglementaire.

Il n'etait pas question de chambre individuelle mais d'un grand dortoir d'une quarantaine de lits repartis en rangees de 5. On m'avait place dans un des rares lits de libre car en ce debut d'annee l'hopital affichait presque complet. J'avais sur ma gauche le coin pediatrie tandis que mes vis a vis et mon voisin de droite appartenaient d'avantage a la categorie geriatrie. Ce dernier notament avait pour activite favorite de se chier dessus plusieurs fois par jour, de preference aux heures de repas (ca me rappelait furieusement la scene d'hopital du film C'est arrive pres de chez vous !), tandis que les enfants en bas age s'epoumonaient a hurler a la moindre piqure. A vrai dire je n'avais pas specialement une grande experience de l'hopital. Je n'avais ete hospitalise que 2 fois dans ma vie et mon plus long sejour avait dure 5 jours lors de mon operation de l'appendicite presque 15 ans plus tot. Mais se retrouver a l'hosto dans un pays etranger, qui plus est dans un dortoir "open space", ca permet quelque part d'etre aux premieres loges pour essayer de comprendre la societe autochtone. Pour commencer les visites aux malades ne sont pas reglementees comme par chez nous. Les proches des patients peuvent venir a toute heure et surtout rester comme bon leur semble. Je crois bien qu'il y avait plus de visiteurs que de malades a l'hosto, de jour comme de nuit car ils pouvaient dormir par terre a cote du lit. Je n'ai que tres rarement vu un patient thai rester seul ou pour une courte duree seulement. J'avais sous les yeux ce que nous les occidentaux n'avons pas ou plus depuis tres longtemps: des familles soudees a l'extreme. En Thailande, comme dans beaucoup de pays asiatiques d'ailleurs, la famille est la base de la societe. Les enfants dorment avec leur mere, et ce bien souvent jusqu'a leur majorite, les grands parents vivent dans le meme foyer que leurs enfants jusqu'a leur deces et quand un enfant doit partir etudier ou travailler loin de ses parents c'est un veritable dechirement. Et l'hopital n'echappait pas a cette realite naturellement. Ca fesait pas mal de monde en tout l'air de rien. Evidemment j'etais l'unique etranger de l'hopital et je ne passais pas inapercu. Un grand barbu occidental aux cheveux longs et au corps recouvert de poil ca ne courrait pas les rues dans le coin. Du coup j'etais une sorte d'attraction et les thais meme  fideles a leur retenue et leur politesse ne pouvaient s'empecher de me reluquer pour passer leur ennui (je n'ai jamais vu qui que ce soit avec un bouquin ou meme un journal et y'en avait pas mal qui se faisaient chier). Heureusement il y avait dans le personnel hospitalier des personnes plus ou moins anglophones et je parvenais a communiquer avec tout de meme.  En particulier avec l'infirmiere en chef Siriyaporn grace a laquelle j'avais des informations sur mon etat de sante, elle est rapidement devenue mon interprete si j'ose dire et eglement la personne avec laquelle j'avais le plus de conversation.
En ce qui concerne ma sante a proprement parler, l'evolution n'etait pas vraiment bonne. Des le deuxieme jour j'ai  commence a vivre des episodes particulierement penibles. Alors que je me sentais pas trop mal je fus pris d'une violente sensation de froid vers midi. J'avais beau me mettre en plein soleil, puis me couvrir avec 2 couvertures sur le lit, je tremblais de froid de la tete au pieds au point de claquer frenetiquement des dents.Puis, passe une heure a me les geler ce fut exactement l'inverse qui se produisait: j'avais une forte fievre et je transpirais abondamment et surtout j'avais de terribles migraines. Des migraines d'une telle intensite que j'etais incapable de faire quoi que ce soit, impossible de me lever et de marcher et encore moins de dormir. Je n'ai jamais ete un migraineux, de toute ma vie je devais tout juste en avoir une par an et pas bien forte. Ce genre de migraines la depassait de loin en intensite la pire de mes cuites. Le traitement du virus de la dengue etant uniquement symptomatique, on me donnait du Paracetamol pour soulager les maux de tete mais franchement je ne sentais pas vraiment la difference. Au bout de 4 heures a souffrir de la sorte, les migraines commencaient a diminuer d'intensite jusqu'a disparaitre dans la soiree. Le lendemain, rebelote mais ca commencait une heure plus tot dans la matinee. On me faisait plusieurs prises de sang pour controler des tas de trucs, dont le paludisme. Ils ne trouvaient rien mais par contre mon taux de plaquettes etait au raz des paquerettes et desormais je perdais egalement des globules rouges. Le staff medical craignait que je developpe la forme hemorragique de la dengue et me placait sous surveillance accrue. Les jours passaient et j'apprehendais chaque matin le moment ou je commencais a ressentir les premiers frissons, prologue d'une sequence de pure souffrance a chaque fois plus longue et plus douloureuse que la veille. Il n'y avait rien a faire, juste souffrir et attendre que ca passe. Et quand on souffre de la sorte le temps ne passe pas vite. Je savais que j'en prennais pour 5 a 6 heures et a chaque fois que j'ouvrais les yeux, imaginant avoir deja endure une ou deux heures de crise, la pendule de l'hosto m'indiquait impitoyablement que 15 ou 30 mn seulement  s'etaient ecoulees ... Etre dans un dortoir ou allaient et venaient tant de monde commencait a me peser egalement. Etre constamment observe meme discretement devenait particulierement fatiguant a la longue. A chaque fois qu'un nouveau patient et son entourage arrivaient, j'avais droit aux sourires et a l'air amuse de tout ce petit monde qui trouvaient naturellement marrant le grand singe blanc dont les pieds depassaient de son lit trop petit. Je savais bien que ce genre de reaction n'avait rien de mechant mais quand on souffre enormement, on n'apprecie guere que des gens s'amusent a vos depends. Siriyaporn me communiquait les resultats des analyses et fesait tout pour me rassurer mais je sentais neanmoins que son inquietude etait palpable. Mon etat ne s'arrangait pas, au contraire.

Le cinquieme jour, apres une longue crise, la docteur decidait de me transferer en ambulance a l'hopital de Petchabun, plus grand et mieux equipe. Quelques heures apres mon arrivee et un nouveau prelevement sanguin un docteur m'annoncait qu'ils avaient detecte le paludisme. En fait je n'avais jamais contracte la dengue mais le paludisme, et ce, depuis le debut ! J'avais passe 5 jours a souffrir comme un damné de crises de palu avec juste du paracetamol comme traitement ! La seule bonne nouvelle, c'etait que j'etais infecte par le Plasmodium Vivax, la variete non mortelle du paludisme, et non par le Plasmodium Falsiparum (variete du parasite tres frequente en asie du sud est et notamment au Cambodge) qui est tres souvent fatal ... passe 4 a 5 jours sans traitement ! On me donnait le traitement adequat (chloroquinine et doxycycline) et le lundi 10 janvier j'avais ma derniere grande crise. Les 2 jours qui suivirent mon etat s'arrangait progressivement meme si j'avais une migraine presque permanente et que je gerbais le moindre truc que j'avalais (effet secondaire des anti paludeens). Question confort, j'avais grandement perdu au change par rapport a Lomkao. A l'etage ou j'etais admis il etait toujours question de dortoir mais avec 5 fois plus de lits: dans les travees mais aussi dans les couloirs, pres des sanitaires ... ca ressemblait pas mal a un service d'urgence de region parisienne en fait ! On m'avait place dans le "carre VIP", la travee des patients en soins intensifs. Mes voisins directs n'etaient pas vraiment contrariants: des petits vieux dans le coma et relies a toute une machinerie infernale par un reseau de tubes. Chaque jour il y en avait au moins un qui finissait evacue enveloppe integralement dans un drap ... j'ai pu ainsi decouvrir a plusieurs reprises les rites funeraires bouddhistes ! Et il y avait evidement un monde pas possible avec une quantite impressionnante de visiteurs. Une bonne partie dormait sur les balcons a l'exterieur car il n'y avait pas assez d'espace libre a l'interieur. Je passais pratiquement mes 3 journees a Petchabun alonge sur mon lit avec des bouchons d'oreilles et un drap sur le haut du visage pour eviter de croiser les memes regards en permanence (et accessoirement car la doxycycline a haute dose rend egalement tres sensible a la lumiere). Je ne supportais plus cet endroit, apres presque 10 jours a etre enferme de la sorte c'etait l'enfer ! Et puis je n'avais personne a qui parler dans cet hosto, quelques infirmieres bredouillaient un peu en anglais mais n'osaient pas me parler. Le 12 janvier je negociais mon retour a Lomkao, je n'avais plus aucuns symptomes et puis mon velo et mon materiel m'attendait toujours la-bas. Arrive sur place je constatais qu'un ters des lits etaient occupes (fini la foule !) et je retrouvais egalement avec plaisir Siriyaporn. Je restais a Lomkao jusqu'au 14 janvier au matin avant de retrouver ma liberte une bonne fois pour toute. Avant cela, il m'aura fallu passer a la caisse pour regler la douloureuse. J'apprenais a l'occasion de mon sejour a l'hosto toutes les subtilites de mon statut vis a vis de la securite sociale francaise et de l'assurance rapatriement qui me couvrait depuis mon depart de France presque 3 ans plus tot. En l'occurence je n'existais plus pour la secu et a ce titre mon assurance ne remboursait rien (je ne vais pas rentrer dans le detail ca serait trop long, j'ecrirais un add-on "protection sociale" dans la rubrique materiel du site). En tout, mes sejours a Lomkao et Petchabun m'auront coute 400$ pour dix jours et demi de presence au total. A vrai dire j'ai eu droit a un "discount" de pres de 50% sur la note de Lomkao grace a Siriyaporn, qui en sa qualite d'infirmiere en chef avait sabre pas mal de prestations a facturer, a commencer par celles des branquignoles du laboratoire d'analyse !

A ma sortie de l'hosto, Siriyaporn m'offrait genereusement de rester quelques jours chez elle avant de repartir pour Bangkok. Je devais continuer a prendre des cachetons de Primaquine tout les jours pendant encore quelques jours (pour eradiquer les derniers morbaques qui se planquaient dans le foie) mais j'etais completement gueri du paludisme. Par contre physiquement c'etait pas la grande forme: j'avais perdu plus de la moitie de mes globules rouges dans l'histoire et les muscles des jambes avaient diminue de volume a force de rester alonge sans rien faire. Grace a Siriyaporn encore, je faisais remplacer les pignons ainsi que l'axe et les roulements du pedalier de mon velo dans une boutique de Lomkao a un tarif "thai". Je me voyais mal repartir d'entree de jeu sur des bosses a devoir forcer comme un ane sur le seul grand plateau ! Je passais ainsi 3 jours chez Siriyaporn a me requinquer doucement avant de reprendre la route direction la capitale. En tout cas je n'oublierais pas de sitot Siriyaporn. Voyager autour du monde comme un vagabond est souvent difficile, mais il arrive parfois d'avoir le privilege de rencontrer des gens vraiment formidables. Ca n'arrive pas tout les jours et c'est peut etre ce qui fait le charme de ce voyage.
Il me fallait encore 5 jours pour rejoindre Bangkok. Les 2 premiers j'en ai vraiment chie a ne pouvoir pedaler qu'avec des petites vitesses et a m'essouffler rapidement a la moindre cote. Je faisais des petites journees pour me remettre dans le bain et je sentais que la forme revenait rapidement. Ma vielle carcasse connaissait le boulot et se readaptait vite l'air de rien ! Arrive dans la grande plaine centrale de Bangkok je pouvais a nouveau parcourir de grandes distances avec le grand plateau et avaler d'un trait plus de 150 km d'un secteur particulierement laid ou il n'etait question que de rizieres inondees, de zones industrielles et de voies rapides saturees de bagnoles. En arrivant dans la ville de Bangkok le 21 janvier, le paludisme n'etait deja plus qu'un vieux souvenir.
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