No country for old man

Derniere partie de ma traversee de l'ile de Sumatra - Indonesie Sumatra part 3 Bengkulu - Bakauheni 04.05 - 16.05.2011

De Bengkulu, seule ville d'importance sur la cote sud ouest de Sumatra, il me restait quelques 900 km pour rejoindre Bakauheni sur la pointe sud de l'ile et ses ferrys pour Java. Au programme je devais poursuivre ma progression sur le littoral, puis grimper la fin de la chaine montagneuse de Sumatra qui se separait en 2 branches avant de basculer sur Bandar Lampung et l'extreme sud de l'ile. Sur le papier ca n'avait pas l'air terrible mais a Sumatra j'avais commence a comprendre que rien n'etait facile, bien au contraire. En l'occurence cette portion restera comme l'une des periodes les plus penible de mon voyage. Jamais en pres de 3 annees de vadrouille je n'aurais autant galere sur une aussi longue duree, d'autant que les 2 semaines precedentes furent loin d'etre formidables !
Les 100 premiers km n'etaient pas vraiment complique car la route etait presque plate mais la malediction qui avait touche mon velo alors que j'avais quitte Bukkitingi 1 semaine plus tot allait frapper de nouveau. J'avais fait remplace a Bengkulu la poignee de frein avant en prevision des descentes pistes noires ainsi que ma selle qui avait fini par se desintegrer sur les routes defoncees du coin mais passe 50 km de route je ressentais des secousses anormales au niveau de la roue arriere. Mon pneu commencait a se dechirer en 2 endroits distincts sur les cotes pres de la jante ! Il s'agissait pourtant d'un pneu "neuf" que j'avais place sur la roue arriere en Malaisie alors que je le trimballais en secours depuis Hotan dans le Xinjiang chinois 8 mois plus tot. Manifestement le voyage entrepose tout ce temps sur le porte bagage l'avait fragilise au point que plusieurs filaments ne cassent prematurement. A Sumatra, il y a au moins 15 reparateurs pour scooters par village, mais pour trouver une piece de rechange pour velo il fallait se rendre presque toujours dans une ville. Heureusement pour moi, je trouvais une boutique de cycles dans un gros village 50 km plus loin, mon pneu etait presque sur le point de partir en lambeaux. J'avais pense un temps le placer sur la roue avant en permutant les pneus mais le demontage l'aurait acheve ! Je reussissais a mettre la main sur un pneu de fabrication chinoise (oui parcequ'en Asie du sud est, le "made in China" est bien souvent gage de qualite pour les cyclos, en tout cas bien meilleur que les produits indonesiens !), le montais et repartais enfin l'esprit apaise.

Seulement la suite allait s'averer particulierement rude. Apres une bonne centaine de km de secteur vallone avec montees-descentes courtes mais hyper raides, la route prennait la direction des montagnes pour un peu plus de 25 km. Et l'ascension fut incroyablement raide. Une journee me fut necessaire pour en venir a bout, et en passant une nuit sur place en cours de route. Imaginez un sentier de biquettes dans les Alpes qui monte au plus direct sans faire de lacets, faites en un ruban d'asphalte de 3 m de large completement defonce et vous aurez une idee de cette maudite route. Et Indonesie oblige, avec un trafic de scooters a flux tendu et plus drole encore, de camions et semi remorques. Non seulement je devais pousser mon lourd chargement presque toujours a bout de souffle en suant comme un damne mais je devais composer avec ces foutus gros cubes de merde surcharges qui avancaient peniblement dans cette pente infernale en crachant d'enormes panaches de fumees noires et toxiques. Et qui klaxonnaient naturelement. Et qui tombaient en panne aussi. Rien que dans cette montee, j'avais du en voir 6 acidentes ou en panne ! Un en particulier m'aura bien fait chier: alors que je squattais l'unique cabanne du coin dans un replat, un camion est venu peter un essieu a une cinquantaine de metres et ces boulets de routiers m'ont pourri la nuit a ecouter en boucle le meme morceau a fond sur leur auto-radio ! La redescente fut du meme accabit mais expediee en quelques minutes, avec les freins serres a bloc en guise de ralentisseurs et les pieds comme arret d'urgence ! En contrebas j'arrivais sur Krui, sans doute l'unique secteur touristique de cette partie de Sumatra avec ses spots a surfeurs. A nouveau une bonne centaine de km de plat dans l'extreme sud ouest de l'ile avant d'enchainer a nouveau avec une "ultra cote", plus longue encore que la precedente. C'etait vraiment l'enfer. Rien qu'en marchant a pied sans rien la grimpette etait deja sportive mais en poussant un velo lourd et tres charge l'effort etait particulierement extreme. Je devais m'arreter tout les 100 ou 200 m pour reprendre mon souffle ou pour faciliter le passage de ces foutus camions. Au moindre arret, je devais rester debout a serrer a bloc les freins et bloquer une pedale avec un genou pour eviter que le velo ne recule. Il n'y avait rien sur le bord de la route ou je puisse appuyer le velo pour un break. Le coucher sur le sol n'etait pas une solution car le relever etait deja penible sur du plat et carrement perilleux dans des pentes pareilles ! Evidement, toutes ces montees ultra raides etaient toujours en pleine jungle et j'etais une veritable offrande ambulante pour moustiques. Je ne pouvais pas liberer une main du guidon pour les chasser au risque de perdre le velo et je devais me contenter de secouer la tete et les bras quand je ressentais une piqure ... un grand moment de bonheur ! Et je suais en quantite astronomique. En arrivant au col a la tombee de la nuit, il m'avait fallu essorer tout mes vetements, chaussettes inclues. J'aurais pu remplir plus d'une bouteille rien qu'avec la suee restee sur mes sappes !  De toutes facons, a Sumatra la vessie ne servait presque a rien: je devais pisser le matin au reveil et peut etre une fois le soir avant de me coucher mais l'immense majorite de l'eau que j'ecclusais terminait en transpiration.

Aussi difficile soit elle, cette partie restera comme une des plus magnifique de mon passage sur Sumatra. Les reliefs aidant, le secteur etait tres sauvage et meme s'il y avait beaucoup de villages sur les portions plates entre les mini cotes infernales la foret vierge dominait largement. Au petit matin, quand la chaleur etait encore a peu pres tolerable, les passages a travers la jungle etaient uniques avec ces parfums emanant de la vegetation perpetuelement humide, les chants des oiseaux et les cris des singes perches sur leurs arbres (enfin quand la circulation routiere me permettait de les distinguer). Les petites plages incrustees dans les criques rocheuses envahies par la foret luxuriante etaient particulierement paradisiaques, des vrais cliches de cartes postales. Les longs secteurs plats cotiers inhabites avec ces grandes dunes de sable interrompues de temps en temps par une plantation de cocotiers valaient le detour egalement. Il faut bien le reconnaitre, la cote sud ouest de Sumatra etait sans doute un des coins les plus interessant de ma traversee de l'Asie du sud est. Si le parcours n'avait pas ete aussi ardu et le climat aussi extreme sans doute serait-ce un de mes meilleurs souvenir de mon voyage. Mais pour etre totalement franc, le plus penible a supporter a Sumatra ce fut les autochtones, et de loin. Et plus encore dans des coins recules comme celui la. Absolument tout le monde me sautait dessus en quasi continu: a m'interpeller toute les 2 secondes comme on sifflerait un chien quand je pedalais, a me saouler pareillement dans les moments de galere dans les cotes ultra raides, a interrompre la moindre de mes pauses de recuperation, a voulloir me faire la conversation pendant que je bouffais, a me suivre quand j'allais pisser, a me reluquer quand je me lavais, a me reveiller si par malheur quelqu'un debusquait ma planque de bivouac ... etc, bref tout le temps sans le moindre repit. Meme si les environs n'etaient pas densement peuples il y avait toujours un trafic de scooters en quasi continu qui me klaxonnaient, me collaient le train ou roulaient a cote au ralenti, s'arreter quand je faisais un break dans un coin paume ... Quand je traversais un village, tout les momes et la plupart des adultes s'epoumonnaient a hurler "tourist, tourist" et "hello mister" bien entendu. L'enfer. Il n'y avait rien de mechant dans leurs intentions mais rien de bien sain non plus. Je veux dire, il n'etait pas question d'echange ou quoi que ce soit dans le genre, j'avais juste la sensation d'etre un phenomene de foire, un truc bizarre et marrant que tout le monde veut regarder et asticoter pour voir comment ca reagit ! C'est con a dire, mais si quelqu'un ne m'aurait offert ne serait-ce qu'un verre d'eau a boire j'aurais pu changer mon impression a leur egard mais il n'etait toujours question que de curiosite primaire. Et puis etre constament derange pour rien. Par exemple, en France dans la vie de tout les jours, il y a des gens chiants, ininterressants, sans reliefs comme des voisins, des collegues ou que sais je encore, a qui on doit sacrifier quelques minutes par jour de son existence en faisant une conversation rapide pour la forme: et bien dans mon cas j'en avais quelques milliers par jour et presque toujours quand je n'avais pas envie d'etre derange ! Appelez ca de la mysanthropie mais j'etais arrive a un niveau de saturation tel que je ne supportais plus la presence de qui que ce soit. Quand je roulais et que l'on m'interpellait ou me criait dessus, je passais sans broncher ni preter la moindre attention. Pour les emmerdeurs en scooter soit je freinais brutalement, je me decallais sciemment pour les contraindre a passer dans les nids de poule de la chaussee voire je tendais carrement la jambe pour menacer du coup de pompe pour les plus pots de colle. Dans les phases d'arret j'etais encore plus equivoque: dans un premier temps j'ignorais le casse couille en question et s'il ne partait pas au bout d'un moment je l'envoyais chier pas trop violement mais fermement. Et si ca ne suffisait pas je commencais a leur hurler dessus (en francais mais c'est le ton qui compte) en prennant un air menacant. Mais quelque fois certains ne comprennaient manifestement pas ma colere (notament quand je me lavais a poil) et s'en amusait au contraire. Dans ces cas la, je ne disais plus rien mais je degainais ma lame en avancant lentement: cette tactique la marchait a tout les coups car meme les plus irreductibles pots de colle effacaient leur sourires et foutaient le camps rapido avec leurs scooters. Le language de la violence est internationnal que voulez vous ... C'etait tout de meme triste d'en arriver la mais j'ai du sortir ma lame assez souvent a Sumatra !

Pour en revenir au voyage, je redescendais le col tout schuss dans une descente toute aussi vertigineuse que l'etait l'ascension et finissais de niquer mes plaquettes de frein pour l'occasion. En arrivant dans la cuvette de Kota Agung, je retrouvais la configuration classique du village perpetuel avec les rizieres en arriere plan et des cabanons de galeriens de bord de route alignes tout au long de la chaussee au service des routiers. Meme la route qui grimpait la derniere ascension au pied du volcan le plus meridional de Sumatra etait bordee d'habitations de bout en bout. Cette fois ci la montee etait proportionnee et facilement realisable a velo mais j'ai du pousser le velo dans la derniere moitie malgre tout. J'etais completement cuit par les efforts des jours passes. A Sumatra j'avais perdu toute la bidoche accumulee lors de mon long break a Kuala Lumpur en Malaisie et plus encore meme. A vue de pif et a en juger par ma ceinture, j'etais largement redescendu sous les 70 kg comme lors de mon passage en fin d'Asie centrale un an auparavant exactement, a l'epoque ou je devais me rationner. Je m'etais plus ou moins debrouille pour arriver a Bandar Lampung le jour de mon anniversaire justement. En 2010 j'avais fete mes 34 ans en rongeant un bout de pain sec dans ma tente au fin fond d'une vallee paumee du Tadjikistan, mais pour cette annee j'esperais d'avantage de "luxe" ! Cela dit, pour esperer loger dans un hotel bon marche en Indonesie il ne faut etre trop regardant sur le confort et la proprete: a tout les coups on se retrouve a occuper une chambre minuscule, sans fenetre, ou l'on parvient a peine a respirer grace a un ventilateur qui fait d'avantage de bruit qu'il ne brasse d'air. Les matelas sont l'occasion de decouvrir d'autres aspects charmants de la faune locale avec les punaises et les puces.Enfin les sanitaires en commun consistent en un bassin ou l'on preleve l'eau avec une gamelle pour s'asperger, et les lieux sont perpetuelement parfumes d'une odeur tenace d'urine ... En comparaison les squatts dans les maisons ou les cabannes abandonnees sont des suites 5 etoiles ... gratuites ! De Bandar Lampung, rejoindre le port de Bakauheni n'etait plus qu'une formalite avec une petite centaine de km sur un parcours pas trop bossele. En prennant le ferry pour Meka sur la pointe ouest de Java mes impressions etaient mitigees, j'etais content d'en avoir fini avec Sumatra mais je m'appretais a entrer dans une ile sans doute encore moins accueillante pour un vagabond. Java a elle seule contenait plus de la moitie des 200 millions d'habitants de l'Indonesie ! Avec un mois de visa ecoule sur Sumatra sur les deux dont je disposais il n'etais plus question de soigner mon itineraire, il me fallait traverser au plus vite Java: de toutes facons j'en avais deja plein le cul de l'Indonesie et j'etais presse d'en finir !

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