Ecrit le mardi 14 juillet 2009 à 22:03 par Sylvain.

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Premiers jours en solo

premiere partie de ma traversee en solitaire de la province d'Adjara vers Tbilisi, Georgie juillet 2009

Debut Juillet 2009, alors que nous avions quitte Batumi et repris la marche depuis presque une semaine, je decidais de continuer mon voyage en solo. Voici quelques morceaux choisis de mes recits de l'epoque tandis que je me dirigeais vers Tbilisi.

10/07/2009
(...) C'est a 13h30, en plein coeur de la vallee d'Adjara, que je me separe de Thierry, Killian et de Petra (...). C'est donc resolument decide a mettre le plus de distance entre nous que je m'elance tambours battants sur le chemin quittant Abuketa. Au bout d'une demi-heure, la piste s'engouffre dans un immense vallon tandis qu'il semble repasser au dessus de la crete opposee. Il fait chaud, tres chaud. Le soleil cogne fort, bien plus que ces derniers jours et la route commence a monter. Perdu dans mes pensees j'en oublie de consulter ma boussole et je continue a grimper ce qui me semble etre le chemin principal. J'ai faim, normal vu le rythme que je mene. Je mange les 5-6 noix qui trainent dans mon sac et je repars aussitot. Pres de 2h plus tard, j'arrive a un col et je constate que je domine un cirque qui part plein sud, c'est a dire vers la Turquie. Merde. J'essaie de corriger le tir en remontant nord-est le cirque, mais des lors je m'engage dans un labyrinthe de pistes qui parfois menent nulle part comme des sites d'exploitation de bucherons. Les rares personnes que je croise me donnent bien quelques indications mais l'orientation n'en reste pas moins un veritable casse-tete. A chaque carrefour de pistes, il m'arrive regulierement d'essayer plusieurs voies avant de faire demi-tour. Vers 20h30, je decide de planter la tente dans une clairiere, le ventre vide tandis que cela faisait bien 4 ou 5 h que je suis en fringale. J'ai remarque des empreintes d'ours fraiches dans la boue 1km auparavant mais qu'importe: marcher de nuit serait bien plus dangereux.
11/07
Je me leve tot et le temps de faire secher la tente et de remballer je finis par decoller vers 9h00. J'ai decide de continuer la piste qui part vers l'est en esperant bien deboucher quelque-part, quand bien meme si elle grimpe toujours autant. 2h plus tard, mes efforts sont recompenses: j'appercois un petit village d'altitude. Je m'arrete devant un attroupement de jeunes et j'essaie de communiquer avec eux en russe avec mon maigre vocabulaire, essentielement pour leur demander ou je suis et si je peux acheter du pain a quelqu'un. Il me semble qu'ils comprennent mes requetes mais ils sont avant tout tres curieux et veulent savoir qui je suis et ce que je fais la. Du coup, je sors le grand jeu avec l'article de journal de Batumi en georgien, expliquant le projet de tour du monde a pied. S'en suit un attroupement classique d'une bonne partie du village tandis que je ne parviens toujours pas a comprendre ou je suis exactement. Un type plus age et moins rejoui que les autres me demande mon passeport, facon turque. Je comprend rapidement pourquoi lorsque je vois arriver un 4x4 de la police des frontieres, avec 2 types armes de fusils a lunettes a son bord. J'apprend donc que je suis a Goma a pres de 2000m d'altitude mais surtout a moins de 3 km de la frontiere turque. Il etait temps que je m'arrete ! Le controle dure pres d'une heure mais entre-temps on m'indique clairement le chemin pour redescendre vers Shuakhevi et un jeune qui m'assure m'avoir deja appercu a Batumi m'explique que sa mere prepare un repas a mon intention. Enfin des bonnes nouvelles ! Apres un repas forcement divin, et une seance photo sur telephones portables avec la plupart des jeunes presents dans les parages, je m'elance donc vers Suakhevi. La descente est longue et interminable et a mesure que je me rapproche du fond de la vallee, la chaleur augmente, comparable a la veille. Vers 19h00 j'arrive enfin a mon but et tandis que j'entre dans un commerce pour acheter du pain, je fais l'objet du desormais rituel flot de questions des badauds alentours. Le patron de l'epicerie parle relativement bien francais et m'offre une biere pendant que j'explique la nature de mon voyage. Une jeune fille parlant parfaitement anglais me dit alors qu'un des types presents veut m'inviter chez sa famille ce soir. Puis la plupart des gens presents s'en vont vers 20h00, l'epicier le type inclus, ce dernier me faisant comprendre qu'il repassera dans 2h. Et bien pourquoi pas ma foi ! Me voila donc a attendre assis sur un banc entoure de gamins dont le fils du commercant qui essaie de communiquer avec moi avec son bouquin d'anglais de college. Le temps passe. Le fiston a beau m'offrir a tour de bras des petits gateaux, des bonbons et des cigarettes, il n'en reste pas moins insupportable. Vers 22h je m'enquiers de mon sort aupres de l'assemblee et le gamin, apres avoir telephone a son pere, me dit finalement que je vais dormir chez l'epicier et qu'il devrait revenir dans 1/2 heure. Je commence a flairer l'embrouille et malgre les supplications du gosse pour que je reste, je finis par prendre mon sac et quitter le village pour poser la tente quelque-part vers 23h. J'ai marche toute la journee et je ne vais pas poireauter jusqu'a minuit et plus pour une invitation incertaine ! C'est donc avec la lampe  frontale que je m'engage de nuit a la recherche d'un emplacement sur l'axe principal vers Khulo. Vers minuit enfin je trouve un endroit correct et suffisamment planque et je me couche le ventre vide, une fois n'est pas coutume. Je n'aurais meme pas pu acheter de pain !
12/07
(...)

13/07
(...) La route principale qui mene au col de Goderdzi ressemble d'avantage a une piste chaotique, similaire a celles rencontrees un an plus tot en Albanie. La ressemblance est frappante, pas seulement parceque je me retrouve a manger la poussiere a chaque passage d'un bus mais aussi car l'on rencontre indifferament des eglises ou des mosquees dans chaque village. Vers 13h30 je passe le col et j'entame la longue descente vers Adigeni, 20 km plus loin. La piste traverse une immense foret sans le moindre village pendant pres de 15 km et c'est tant mieux, le cadre est agreable et l'ombre des arbres permet de mieux supporter la chaleur. Vers 17h je prend une douche dans un petit torrent et l'envie me prend de bivouaquer dans la foret. Il faut dire que depuis Batumi, tout le monde m'a deconseille de sejourner dans cette foret: depuis l'incendie d'une partie du parc nationnal de Borjomi l'an dernier (consecutif au bombardement de la ville par l'armee russe), une grande quantite de la faune sauvage aurait migre dans cette region. Les autorites, les rangers, les villageois, tous deconseillent unanimement de se ballader dans cette foret a cause des loups et des ours ... et pourtant j'allais passer une nuit fort tranquille sous la tente loin de tout. Depuis la Turquie, je suis vaccine contre les mises en garde vis a vis de ces pauvres bestioles. Tous le monde flippe de ces animaux qui prennent le plus grand soin d'eviter les humains ! (...)
14/07
Aujourd'hui je poursuis ma redescente vers Adigeni, toujours dans le cadre de cette foret fort sympatique avant d'atteindre le premier village nomme Zarzma. Des lors une vallee agricole prend le relais. La route bitumee succede a la piste defoncee. Cela devient tout de suite moins interessant. Une consolation tout de meme: on trouve tres facilement des cerises aux abords des villages. Ce ne sont pas exactement les cerises de gros gabarit et tres sucrees que j'affectionne, il s'agit d'une variete plus petite, plus acide aussi et manifestement plus tardive mais elles sont plutot bonnes et je ne me prive pas d'en manger des que j'en ai l'occasion. Arrive a Adigeni je bifurque sur le flanc oppose de la vallee, histoire d'eviter la route principale. Retour sur les pistes poussiereuses et longues traversees d'exploitations agricoles pendant quelques heures. C'est aussi l'epoque ou les eleveurs coupent les hautes herbes dans leurs champs pour faire un stock de fourrage hivernal. Ils font ca a l'ancienne, c'est a dire a la feaux et toute la famille est requisitionnee pour la corvee. Alors que je penetre dans la localite d'Ude, le ciel se voile de plus en plus. Ca sent l'orage. Je traverse le village voisin d'Arali et je commence a m'inquieter de mon sort pour la soiree malgre qu'il ne soit que 17h. A 3 reprises je tente ma chance dans des fermes pour demander un emplacement securise pour ma tente mais a chaque fois on m'indique vaguement des prairies plus loin: en gros casses-toi ! Je vais donc me demmerder tout seul, de toute facon je ne sentait pas trop ce village. C'est donc a 2 km de la sortie du village que je vais trouver un emplacement a peu pres potable pour la tente: pas tres protege du vent mais plat, pas succeptible d'emmagaziner l'eau et a distance respective des arbres. Je monte la tente avec peine, le vent soufflant tres fort, je leste les sardines avec des grosses pierres et je m'engouffre dedans tandis que je vois les eclairs au loin se rapprocher. Il est 18h, j'attend la tempete a venir en grillant une cloppe ... je sens le vent tourner, ca va pas tarder a peter ! 18h15: l'enfer commence. Des bourrasques de vent dignes d'un tsunami s'abattent sur la tente, l'arceau longitudinal de la Taurus 2 flechit jusqu'a se coucher sur moi. Je tends les bras pour maintenir la cohesion de l'arceau transversal qui ne demande qu'a faire de meme. Des trombes d'eau se deversent sur la tente tandis que les eclairs et le tonnerre jailissent simultanement autour de moi. Si je m'en prend un, je suis foutu ! Pres d'un quart d'heure a subir ce déferlement infernal et pourtant je ne panique pas. Je me contente de deplacer les bras selon la puissance du vent, de toute facon je ne peux guere faire mieux qu'attendre. Vers 18h30 ca se calme. Il pleut toujours autant, mais le vent a faibli et l'orage semble s'eloigner. Je redresse l'arceau longitudinal avec le pied et j'attend que la pluie s'arrete 30 mn plus tard pour controler les piquets a l'exterieur: un seul s'est arrache, pas si pire, je le replace avant de retourner m'allonger dans la tente. Putain, plus jamais ca ! Le restant de la soiree je le passerai a ecrire avec une pluie fine en fond sonore qui crepite sur la toile et le tonnerre qui resonne au loin. La nuit sera plutot tranquille.

15/07
Je plie les gaules rapidement avant de redescendre sur la route principale de l'autre cote. Aujourd'hui, je dois rejoindre Akhaltsikhe 20 km plus loin, trouver internet sur place, faire un aller-retour au poste frontiere avec le Turquie (ndS: a l’epoque je ne savais pas que le permis de sejour en Georgie etait valable 1 an au lieu de 3 mois, la loi avait ete changee en mars 2009 mais l'information ne circulait pas encore - un grand bravo a l'ambassade de France en Georgie qui mettra pres d'un an a relayer cette info sur le site du ministere des affaires etrangeres) et repartir le plus loin possible. Marcher sur la route est un exercice particulierement chiant: pas d'arbre, plein de bagnoles qui passent a fond ou lentement en vous enfumant la gueule, des pieds qui s'echauffent rapidement et meme parfois des chiens qui vous aboient dessus des que je passe a proximite d'une barraque. A ce propos, je ne me complique plus la vie depuis longtemps avec les chiens: des lors qu'un ou plusieurs clebards commencent a me coller le train en montrant les dents, je cogne, maitre ou non a proximite. Un bon coup de baton energique sur la gueule et generalement le probleme est vite regle ! Vers 13h30 j'arrive a Akhaltsikhe et je commence ma quete d'internet. Pres d'une heure a tourner en rond dans cette ville fort laide a quetionner des gens qui m'envoient a chaque fois vers un local soit ferme, soit depourvu de la grande toile. Finalement, ce sont des gamins qui me guideront a un cyber loin du centre, ouvert et operationnel. J'aurais du y penser plus tot, les momes sont les meilleurs indics pour ce genre de chose: que ce soit en Turquie ou en Georgie, ils raffolent des Counterstrike et cie et connaissent par coeur tout les cybers du coin. A 2 Lari de l'heure, j'ai encore l'impression de me faire avoir avec un tarif "touriste" mais je suis presse et j'ai deja perdu assez de temps comme ca. 2h plus tard, il me faut rejoindre la gare de bus a l'entree de la ville pour aller au poste frontiere. Arrive sur place on m'apprend qu'il n'y a pas de bus pour cette destination mais que je peux demander a un taxi. Merde ... il est hors de question que je claque mon fric avec ces escrocs et c'est donc a pieds que je prend la direction du poste frontiere, 20 km plus loin quand meme. A peine 10 mn plus tard, un type arrete sa bagnole et me demande ou je vais. Ca tombe bien, il habite au village de Vale sur la route en question. Ca fait bizarre de monter dans une voiture, j'ai passe les derniers jours a decliner les propositions d'automobilistes, parfois a raison d'une dizaine par jour ! En quittant Vale a pieds, je comprends pourquoi il n'y a pas de ligne de bus: la route devient une piste particulierement defoncee, bizarre pour un axe transfrontalier. 30 mn plus tard je vois une camionette immatriculee en Turquie arriver, je tends le pouce et le type s'arrete. Le vehicule est en fait une sorte de taxi collectif qui revient a vide vers la Turquie. Je ne pense pas a demander si la course sera gratuite mais le poste est encore loin et pour ainsi dire, personne ne circule sur cet axe pourri. Les nuages noirs ont refait leur apparition aussi, et on entend au loin les craquements s'approcher. Tout le long de cette ascension vers le col frontiere je vais gouter une ambiance bien glauque, secoue a l'arriere de la camionette. Tout d'abord, il y aura ce jeune garcon d'environ 8 ans debout a cote de la route qui fera un signe bizarre avec la main ouverte avant de ramasser des pierres et de les lancer en direction du vehicule apres son passage, sans toutefois parvenir a le toucher. Je presume qu'il doit faire parti de la communaute armenienne , tres presente dans la region, et qui ne doit pas particulierement apprecier les turcs pour les raisons que l'on connait. Ensuite la piste longera pendant pres de 3 km la frontiere, me laissant apprecier tout le dispositif herite de l'ex-union sovietique: des clotures barbelees a plusieurs couches et hautes de 3 m ainsi que d'immenses tourelles facon mirador a intervalles reguliers tout au long de la crete et de la vallee ... le tout sur fond de ciel orageux, charmant ! Arrive au poste georgien, je profite que le chauffeur sorte montrer son passeport pour m'extirper de la camionette avec mon sac, tout en m'eloignant en le remerciant abondament. Des fois qu'il s'imaginait me faire payer la course ! Je vais ensuite passer pres d'une demi-heure a faire ma manip pour obtenir 3 nouveaux mois en Georgie sans toutefois penetrer le territoire turc, juste en restant dans le no-man's-land. L'orage s'approche de plus en plus et il faut que je retourne a Akhaltsikhe alors que je suis au milieu de nulle part. Coup de bol, une camionette d'employes de telephonie portable redescend et accepte de me prendre en stop. Pres de 30 mn a etre de nouveau secoue sur la piste en ecoutant de la mauvaise dance georgienne tandis que mon voisin passe son temps soit a se gratter les couilles ou a se signer des que le vehicule passe a proximite des nombreuses croix placees tout au long de la route. Il est 19h et on me depose 5 km avant Akhaltsikhe. Je vais entamer un contre-la-montre pour trouver un abri pour ce soir, pas question de revivre l'enfer de la veille ! Une heure plus tard, j'ai rejoint, traverse puis quitte la ville. J'observe le ciel et je vois que l'orage a tendance a aller dans la direction opposee de la mienne, c'est deja ca. J'aurai au moins le temps de trouver un spot avant la pluie et accessoirement la nuit. Peu de temps apres, j'appercois des fermes non loin de la route et je tente ma chance immediatement aupres d'un petit vieux qui traine devant chez lui. Je lui explique que je veux dormir sous la tente mais que l'orage va certainement me compliquer la tache. Devant son absence de reactions, je lui indique le petit hangar devant sa maison: "pas de problemes si je dors la dedans ?" . Pas de problemes qu'il me dit. Bingo ! Juste a temps alors que la nuit commence a tomber. Le hangar est completement vide et le sol est en terre battue, impeccable en ce qui me concerne. Je monte la tente dedans, histoire de pas recevoir des gouttes d'eau, les parois n'etant pas tres etanches, et me couche dans la foulee. Une heure plus tard l'orage fesait son apparition et les elements se dechainaient mais j'etais bien a l'abri cette fois la. Ouf !

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A travers le sud du Caucase